Reporters sans frontières (RSF) dénonce vigoureusement la célérité avec laquelle la justice a jugé puis condamné un directeur de publication et sa collaboratrice à une peine de prison pour des faits de diffamation dans une affaire qui n’a d’autre but que de réduire au silence le média d’investigation qu’il dirige.
Le verdict est tombé à 6h30 ce vendredi matin après quinze heures d’audience mettant un terme à un procès surréaliste. Christophe Bobiokono, directeur de publication du journal Kalara, un hebdomadaire d’investigation spécialisé dans les affaires judiciaires, a été condamné à deux ans de prison avec sursis, 3800 euros d’amende et 15300 euros de dommages et intérêts pour “diffamation” et “outrage à corps constitué”. Sa collaboratrice, Irène Mbezele a écopé de la même peine de prison assortie de 2300 euros de dommages et intérêts. Au cours d’une nuit d’audience, les demandes de la défense pour prouver la bonne foi du journal ont été systématiquement rejetées.
Officiellement, l’origine de l’affaire remonte à la publication de deux articles datant d’octobre 2018 et relayant les propos qu’aurait tenus Faustine Fotso, une députée du parti au pouvoir, au cours d’un dîner. S’appuyant sur un enregistrement de ses propos à son insu par l’un des convives, le journal relate les manoeuvres qu’elle aurait utilisées pour influencer la décision des juges dans un dossier opposant deux responsables politiques de la même famille, un frère et une soeur se disputant l'héritage de leur père, Salomon Tandeng Muna, lui-même ancien Premier ministre.
“Ce journaliste a été auditionné, jugé puis condamné à une peine extrêmement lourde en une nuit, comme s’il venait de commettre un coup d’Etat alors qu’il n’était poursuivi que pour diffamation et que les faits remontent à plus d’un an, dénonce Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Ce procès expéditif et les très lourdes sanctions qui y ont été prononcées n’ont d’autre but que de réduire au silence un journaliste renommé, connu pour la qualité et le sérieux de ses enquêtes, et de tuer sa publication. Nous condamnons avec la plus grande fermeté ces méthodes indignes d’un état de droit et demandons l’annulation de cette condamnation qui porte en elle tous les signes d’une sanction politique”.
Un mandat d’arrêt a été émis contre le directeur de publication et sa collaboratrice en cas de non-paiement des sommes réclamées mais il n’a pour l’instant pas été exécuté et les deux journalistes sont ressortis libres.
La députée Faustine Fotso n’en est pas à son coup d’essai. En 2017, elle avait déjà fait condamner Lewis Medjo, directeur de publication de La Détente Libre, à six mois de prison et 1500 euros d’amende après l’avoir poursuivi pour diffamation à la suite de révélations compromettantes la concernant.
Quant au journal Kalara, il est dans régulièrement dans le collimateur des personnalités dont il dénonce les mauvaises pratiques. Joint par RSF, son directeur de publication affirme recevoir régulièrement des intimidations y compris de certains ministres.
Début décembre, l’hebdomadaire avait publié la lettre ouverte d’Amadou Vamoulké dans laquelle l’ancien directeur général de la CRTV s’interrogeait sur les motifs réels de son incarcération alors que le journaliste est en détention provisoire depuis trois ans et demi dans un procès, qui faute de preuves et d’éléments à charge, est quant à la lui bien moins expéditif... La 26e audience est prévue le 7 janvier prochain. RSF continue à demander la remise en liberté de ce journaliste malade et privé de soins appropriés depuis plusieurs mois.
Le Cameroun occupe la 131e place au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2019.
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