Des voix influentes des six continents présentent une feuille de route pour un avenir intelligent face au climat et à la sécurité alimentaire après la publication d’un rapport de l’ONU dénonçant les effets du stress climatique sur « l’urgence alimentaire » engendrée par la COVID-19
Le 25 juin 2020 – Alors que la COVID-19 intensifie la faim, y compris dans les pays riches, des experts influents des six continents, spécialistes de l’alimentation, l’agriculture et l’environnement, ont répondu aujourd’hui à cet appel avec une feuille de route ambitieuse visant à restaurer des systèmes alimentaires déjà durement touchés par le changement climatique. Cette feuille de route propose le plan le plus exhaustif à ce jour pour restaurer tous les systèmes de production alimentaire dans le monde – des petites exploitations agricoles à la production à grande échelle – ébranlés par la pandémie et bientôt confrontés aux effets plus importants du changement climatique.
Le rapport intitulé Actions to Transform Food Systems Under Climate Change a été élaboré sous la direction du Programme de recherche du CGIAR sur le changement climatique, l’agriculture et la sécurité alimentaire (CCAFS). Faisant suite à une nouvelle évaluation des Nations Unies, il alerte sur le fait que la pandémie pourrait déclencher une « urgence alimentaire mondiale ». Les Nations Unies sont particulièrement préoccupées par les systèmes alimentaires en Afrique subsaharienne, qui souffraient déjà avant la pandémie d’une vague de sécheresses et d’inondations – et où le réchauffement climatique joue probablement un rôle dans l’invasion actuelle de criquets en Afrique de l’Est.
« Il est temps pour nous tous de parler d’alimentation et en particulier des systèmes alimentaires », a déclaré David Nabarro, envoyé spécial de l’Organisation mondiale de la santé pour la COVID-19, et organisateur du Dialogue sur les systèmes alimentaires (Food Systems Dialogue) qui lance une tournée mondiale de réunions « relais » sur le plan d’action. « Il s’agit d’aborder tous les éléments des systèmes alimentaires, de la production à la transformation, en passant par la commercialisation et la consommation et toutes les étapes du processus. »
Le rapport présente un plan clair en 11 parties qui met en lumière un grand nombre d’innovations facilement accessibles, susceptibles de renforcer la résistance des systèmes alimentaires aux chocs climatiques et non climatiques.
Les 11 actions, énumérées en détail ci-dessous, visent à augmenter durablement la production alimentaire dans les pays en développement, de manière à accroître les revenus et la sécurité alimentaire des communautés rurales pauvres et dépendant de l’agriculture. Selon le rapport, ces actions pourraient réduire considérablement le besoin d’aide humanitaire dans les prochaines années, et libérer des milliards de dollars pour investir dans des filets sociaux. Le rapport propose également des stratégies pour éviter d’étendre la production alimentaire dans les forêts tropicales riches en carbone et explore les options qui peuvent soutenir des régimes alimentaires sains et adaptés aux variations climatiques.
Le rapport définit également un cadre stratégique pour consacrer 320 milliards USD de financements publics et privés à la transformation des systèmes alimentaires. Et cherche également à renforcer le soutien aux « mouvements sociaux centrés sur les jeunes » engagés dans la construction de systèmes alimentaires durables, qui peuvent être des acteurs du changement particulièrement efficaces.
« Depuis dix ans, le travail que nous avons accompli pour faire face aux impacts du changement climatique sur la production alimentaire, et vice versa, a produit une série d’interventions transformatrices susceptibles de dynamiser les efforts visant à « reconstruire en mieux » après la crise sanitaire de la COVID-19, a déclaré le directeur du CCAFS Bruce Campbell. Cette initiative est essentielle pour des centaines de millions de petits exploitants agricoles des pays en développement. Ces derniers luttaient déjà contre le changement climatique avant la pandémie et ils seront confrontés à des risques climatiques encore plus importants longtemps après la pandémie. »
Changement climatique : un fléau comparable à la COVID-19, mais avec une évolution plus lente
Alors que la pandémie peut considérablement aggraver la faim et la malnutrition à court terme, le rapport de l’ONU perçoit des dangers encore plus grands durant la prochaine décennie, notamment une hausse des températures, la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes et une mauvaise prévisibilité des précipitations. Il cite les résultats d’études récentes soulignant que :
● D’ici 2050, le changement climatique pourrait entraîner le déplacement de 200 millions de personnes, soit l’équivalent d’environ deux tiers de la population des États-Unis.
● La production de cultures pluviales qui nourrissent actuellement l’Afrique australe pourrait disparaître dans la plus grande partie de la région.
● Les captures de poissons pourraient diminuer de 10 % dans les régions tropicales.
● Les sécheresses, les inondations et les canicules seront plus fréquentes et plus intenses. Une légère augmentation de la gravité des sécheresses pourrait à elle seule accroître le risque de conflits violents dans des pays comme la Somalie.
● D’ici 2050, l’impact de l’augmentation des émissions de dioxyde de carbone sur les nutriments nécessaires aux cultures pourrait entraîner une carence en zinc chez 175 millions de personnes et une carence en protéines chez 133 millions de personnes.
Des solutions alimentaires du monde entier présentent des opportunités en temps de crise
Le rapport fournit également de nombreux éléments probants sur le fait que les agriculteurs et les systèmes alimentaires du monde entier ne sont pas condamnés à la catastrophe – et en particulier si les leçons tirées de la pandémie de COVID-19 poussent à agir contre les impacts climatiques. Le rassemblent d’aujourd’hui réunit plus d’une dizaine d’agriculteurs et de voix influentes du secteur alimentaire et agricole, qui s’expriment en direct dans un « relais » mondial depuis l’Éthiopie, l’Australie, le Vietnam, l’Inde, le Mali, l’Italie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Colombie et les États-Unis. Ils présenteront un large éventail de solutions visant à instaurer une ère nouvelle de production alimentaire adaptée au changement climatique. Par exemple :
● Imelda Bacudo, conseillère spécialisée dans la sécurité alimentaire et le changement climatique auprès de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) regroupant dix pays, expliquera comment les efforts déployés par l’alliance pour résoudre les problèmes alimentaires engendrés par la pandémie – notamment l’activation de mesures de réserve alimentaire d’urgence établies, en particulier des interventions sur le riz – révèlent la nécessité d’un plan plus complet pour atténuer les autres chocs du système alimentaire.
« Nous avons ressenti les effets de cette pandémie bien plus tôt que d’autres régions, et nous avons pris rapidement des mesures pour mobiliser des ressources et instaurer des changements de politique, a déclaré Mme Bacudo. Il est clair que pour faire face aux impacts alimentaires de ces chocs externes, il faut prendre des mesures bien au-delà du secteur alimentaire et agricole. Et ce type de collaboration intersectorielle reste un défi, au niveau régional et national. »
● Rikin Gandhi, PDG de Digital Green, montrera comment sa société novatrice utilise des vidéos et des contenus numériques transmis par téléphone portable pour partager des informations et former toutes les deux semaines plus d’un million d’agriculteurs indiens et 500 000 agriculteurs éthiopiens à l’agriculture naturelle à budget zéro (ZBNF). La ZBNF combine les dernières avancées des sciences agronomiques et des pratiques agricoles traditionnelles pour aider les agriculteurs à utiliser les intrants disponibles localement et augmenter durablement la productivité des cultures, et s’adapter à l’évolution des conditions de culture.
« En Éthiopie et en Inde, avec la COVID-19 et l’invasion de criquets pèlerins juste au début de la saison des cultures, les technologies numériques permettent aux agents de vulgarisation et aux agriculteurs de rester en contact, a déclaré Rikin Gandhi. Cela signifie qu’ils peuvent partager des données et des informations de terrain qui peuvent être essentielles pour surmonter ce double défi. »
● L’ambassadeur Seyni Nafo de la République du Mali, un des piliers de l’Initiative d’adaptation en Afrique (IAA) et ancien président du Groupe africain de négociateurs sur le changement climatique, présentera des programmes de développement agricole rural intégré à grande échelle qui pourraient limiter les impacts alimentaires du COVID-19 et contribuer à lutter contre le changement climatique. Il note que des travaux sont en cours en Afrique de l’Est, facilités par l’IAA et la Commission mondiale sur l’adaptation (Global Commission on Adaptation – GCA), pour mobiliser un financement de 300 millions USD au moins des secteurs public et privé afin d’améliorer l’accès à un crédit abordable, à des services numériques pour les agriculteurs et à des technologies agricoles durables comme l’irrigation au goutte-à-goutte – le tout mis à la disposition des communautés locales par le biais d’une initiative unique.
« Il existe de nombreuses approches efficaces pour renforcer la résilience de nos systèmes alimentaires face aux chocs extérieurs, a déclaré l’ambassadeur Seyni Nafo. Mais elles n’ont pas été déployées à une échelle adéquate pour fournir aux communautés rurales le soutien dont elles ont besoin. »
● Le Dr Lindiwe Majele Sibanda, coprésidente de l’Alliance mondiale pour une agriculture intelligente face au climat (GACSA), analysera la capacité de la nouvelle zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) à renforcer le commerce régional de denrées alimentaires de manière à renforcer les systèmes alimentaires locaux et à encourager les investissements dans les petites exploitations agricoles. Elle note que les fermetures de frontières durant la crise de COVID-19 ont démontré l’importance des importations et des exportations dans le maintien d’un approvisionnement adéquat en aliments nutritifs et abordables. Elle estime que la ZLECA pourrait jouer un rôle crucial dans le renforcement de la résistance au changement climatique en stimulant, entre autres, les investissements dans les infrastructures de production et de commercialisation qui permettent aux agriculteurs locaux et aux entreprises alimentaires d’approvisionner les consommateurs sur tout le continent.
« La promotion du commerce intrarégional des produits agricoles et alimentaires est cruciale pour la sécurité alimentaire de l’Afrique, tant à court terme qu’à long terme », a déclaré Mme Sibanda.
● Ruben Echeverria, directeur général honoraire du Centre international d’agriculture tropicale (connu sous son acronyme espagnol CIAT), a fait état d’une pratique croissante dans les régions tropicales d’Amérique latine – qui a de grandes chances de s’étendre à d’autres pays du Sud – consistant à combiner les systèmes de culture, d’élevage et de fourrage avec des activités forestières. Ces systèmes dits « sylvopastoraux » augmentent la productivité du bétail et améliorent le bien-être des animaux – pour la viande bovine et les produits laitiers. Ils sont très différents des « parcs d’engraissement » industriels et des systèmes plus traditionnels d’élevage extensif à faible productivité, et ils ajoutent des arbres au paysage au lieu de couper les forêts pour les pâturages, tous ces aspects contribuant à une réduction spectaculaire des émissions.
« Si l’on tient compte du fait que les deux tiers des terres agricoles de la planète sont des pâturages, ces types de systèmes devraient être déployés largement, car ils peuvent avoir des impacts énormes sur toute la planète », a déclaré M. Echeverria.
« Les perturbations causées par cette terrible pandémie ont au moins alerté le monde sur le fait que nos systèmes alimentaires sont bien plus vulnérables que beaucoup ne le pensent, a déclaré M. Campbell. Le changement climatique aggrave déjà ces problèmes, mais les solutions que nous présentons – et qui visent des transformations audacieuses dans l’agriculture et le commerce, les régimes alimentaires et les politiques gouvernementales – offrent une opportunité de lutter pour un avenir bien meilleur pour les populations et notre planète. »