Par Dr Amadou Hassa Boukari,
Enseignant chercheur
Avec l’avènement du renouveau démocratique des années 1990, l’Afrique pensait tourner le dos à l’irruption prétorienne sur la scène politique, dont le premier fait sur le continent a été le coup d’Etat intervenu au Togo en 1963, qui ouvrait la voie aux renversements des régimes civils. L’espoir né de l’avènement de la démocratie libérale sur le continent, va très tôt s’estomper, avec le premier coup d’Etat post renouveau démocratique intervenu le 27 janvier 1996 au Niger renversant ainsi le Président Mahamane Ousmane, premier Président démocratiquement élu dans un contexte multipartisan dans le pays. S’en suivront par la suite deux (2) autres coups d’Etat dans ce pays sahélien en 1999 et 2010.
Les difficultés inhérentes à la construction démocratique en Afrique ne doivent pas justifier la remise en cause de ce processus considéré jusqu’à une date récente comme irréversible. En effet, de 2012 à 2022, il y’a eu environ cinq (5) coups d’Etat en Afrique notamment au Mali, en Guinée, au Soudan et au Burkina Faso, sans compter ‘‘les rectifications’’ coup d’Etat dans un autre. Cette résurgence de l’interruption de l’ordre constitutionnel dans cet espace inquiète à plus d’un titre, lorsqu’on observe le soutien réel ou supposé qu’une partie des populations africaines apportent aux militaires qui renversent les autorités démocratiquement élues.
Cependant, il importe de relever que dans un Etat démocratique, le rôle de l’armée est la défense de l’intégrité du territoire, la préservation de la paix et de la sécurité, aux côtés des autres forces, conformément aux lois et règlements et la protection des institutions démocratiques. Ces dernières sont censées réguler les conflits institutionnels de quelque nature dans la conduite des affaires publiques.
Par conséquent, l’institution militaire reste soumise à l’autorité civile, régulièrement établie. Et, elle doit être confinée dans cette fonction constitutionnelle, telle que le constituant nigérien l’a souligné à l’article 66 de la constitution nigérienne du 25 novembre qui dispose : « Les Forces armées nigériennes (FAN) assurent la défense de l’intégrité du territoire national contre toute agression extérieure et participent, aux côtés des autres forces, à la préservation de la paix et de la sécurité, conformément aux lois et règlements en vigueur.
Elles participent à l’œuvre de développement économique et social de la Nation et peuvent exercer des responsabilités correspondant à leurs compétences et qualifications »
Il ressort de ces dispositions pertinentes de la loi fondamentale, que quel que soit les contradictions entre les acteurs institutionnels et politiques, lesquelles contradictions naissent essentiellement de la mal gouvernance, l’armée ne doit pas s’improviser et s’octroyer la mission de l’institution régulatrice des crises sociopolitiques ou de garante du fonctionnement normal des pouvoirs publics et de la continuité de l’Etat. Un tel rôle est expressément dévolu par les constitutions africaines tantôt au Président de la République comme au Niger avec l’article 46 de la constitution qui précise « Le Président de la République est le Chef de l’Etat. Il incarne l’unité nationale. (…).Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’unité nationale, de l’intégrité du territoire, du respect de la Constitution, des traités et accords internationaux. Il assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’Etat. » Tantôt au juge constitutionnel comme c’est le cas dans beaucoup des pays dont entre autres le Mali, le Bénin, le Burkina et la Guinée.
Il est clair, donc, que loin de protéger la démocratie et ses institutions, la prise du pouvoir par l’armée est non seulement constitutive d’un crime de haute trahison mais aussi et surtout cette intervention militaire déconstruit la démocratie et ralentit le rythme de cette difficile avancée.