‘’N’est pas enseignant qui le veut. L’éducation est synonyme de… détermination et de don de soi’’, chante le groupe artistique nigérien Shawa. Si l’on cherche des exemples palpables qui matérialisent cette sagesse artistique, Moussa Hassane dit Bounga en fait certainement partie. Unique enseignant et directeur de l’école d’un village très reculé du Niger, à savoir le village Touramaïzé Koira, Bounga fait preuve chaque jour de don de soi et de détermination pour enseigner les 57 élèves que compte aujourd’hui son école, répartis en deux classes. Pour lui, enseigner n’est pas qu’une manière de gagner son pain, mieux, c’est de la passion couplée au patriotisme.
Le village de Touramaïzé Koira est situé à 168 km de Niamey, la capitale du Niger, dans la commune de Dingazi Banda, département de Ouallam. Cette localité est placée sous ‘’état d’urgence’’ une mesure conservatoire prise par le gouvernement pour lutter contre le terroriste au même titre que d’autres départements de la Région de Tillabéry. Ici, le marché le plus proche où l’on s’approvisionner en denrées est à Dingazi Banda, à 13 km et ne se réunit que chaque lundi. Pas d’électricité, ni eau potable comme dans les villes. C’est dans ce village lointain que Moussa Hassane, 43 ans et originaire de Niamey, est enseignant contractuel. Son école est d’ailleurs la seule entité administrative présente dans le village. La seule commodité dont peut se jouir Moussa est l’hospitalité des populations.
L’école de Touramaïzé Koira a été créée en 2016, à l’occasion de la rentrée scolaire 2016-2017 par l’inspection de l’enseignement primaire de Ouallam et est dès lors placée sous la direction de Moussa.
Cette année, pour la rentrée 2019-2020, l’école compte 57 élèves, dont 27 filles et 30 garçons répartis dans les classes de CP et CE2. Les élèves sont recrutés tous les deux ans pour avoir un bon effectif, car les villages de la circonscription de l’école ne sont pas très peuplés et le nombre des élèves est relativement faible. Il faut donc attendre deux ans avant recruter.
Quand Moussa dit Bounga était arrivé dans le village en 2016, il y a trouvé les conditions d’enseignement très difficiles. Les classes étaient en paillotes, il n’y avait pas des tables-bancs pour les élèves ni de bureau pour lui-même. Et les filles venaient en retard car elles devaient parcourir chaque matin près de 800 m pour aller chercher de l’eau au puits du village voisin avant de venir à l’école. Pire, certains parents étaient réticents d’envoyer leurs enfants à l’école. A tous ces problèmes, l’enseignant-administrateur a décidé de trouver des solutions. Et il l’a fait sans frapper à la porte de son inspection, ni à celle d’une quelconque ONG, car il est déterminé à éduquer et à donner à ces enfants villageois la chance de réussir.
Au cours de l’année académiques 2016-2017, il a lui-même confectionné des tables-bancs et un bureau pour lui avec des tiges de l’arbre appelé ‘’sabra’’ en langues locales. « Cela a permis aux élèves des travailler et d’écrire dans des conditions plus confortables qu’avant », a-t-il commenté. Puis l’année qui suit, animé d’un esprit créatif, mais aussi écologiste, l’enseignant améliore son invention en confectionnant des tables-bancs en argile pétrie avec du ciment. Ce qui a participé à rendre la classe plus confortable. « Avec 260 briques en argile et un sac de ciment, j’ai fabriqué des tables-bancs. C’est plus solide, plus durable et plus protecteur de l’environnement. Car avec les tiges, on détruit beaucoup d’arbre », se réjouit-il avant d’ajouter que « je pense qu’on peut vraiment développer cette initiative et cela permettra de résoudre le sempiternel problème de tables-bancs ».
Le manque de tables-bancs n’était pas le seul problème auquel font face les élèves et leur école, il y avait ce manque de puits à proximité qui obligeait les élèves filles à venir en retard en classe. Moussa n’a pas les moyens de construire un puits pour les villageois, il a donc entamé un plaidoyer auprès des bonnes volontés, et c’est ainsi que le journal LA NATION, basé à Niamey, et dont Bounga connait personnellement le directeur général (également le directeur de publication), a eu échos et s’est engagé à le faire. Avec une somme d’environ 400.000 francs CFA soit environ 610 euro que le journal a investi pour doter le village de Touramaïzé Koira d’un puits. Aujourd’hui les populations des villages environnants s’approvisionnent au niveau de ce puits.
« Nous avons voulu, à travers cette action, contribuer à l’épanouissement des élèves et mieux, à celui de tout le village », a indiqué Ibrahim Cheick Diop le directeur général du journal LA NATION.
« Heureux étaient les hommes du village de Touramaïzé Koira qui ont vu leur village doté d’un puits par le journal LA NATION. Et ça a été un jour de fête pour les femmes dudit village qui dansaient et coulaient de larmes de joie », témoigne Moussa Hassane.
Pour les villageois la création de l’école et surtout l’arrivée de cet enseignant aussi combatif qu’innovateur a positivement changé leur vie. L’importance de l’école dans un village n’est plus à démonter, pensent-ils. C’est d’ailleurs ce qui a changé le regard des parents qui ne voulaient pas envoyer leurs enfants à l’école.
Pour comprendre à quel point Moussa dit Bounga est combatif et altruiste, il faut connaitre son passé, c’est-à-dire sa vie avant qu’il n’embrasse le métier d’enseignant.
Moussa est natif du quartier Gamkalé de Niamey. Avant 2010, l’année où il a commencé l’enseignement, il était artiste rappeur et animateur musical dans une radio de la capitale. Bounga, c’est son nom d’artiste. Avec ces deux portefeuilles, plus un troisième, puisqu’il est aussi moniteur (encadreur dans une auto-école), Moussa menait une vie stable. Marié et père de deux enfants, il a préféré abandonner tout au profit de l’éducation.
« Ma famille, elle, est restée à Niamey. Je ne la vois que durant les vacances et les autres congés ou bien pour des occasions d’urgence », dit-il. Bounga s’éloigne donc de sa femme et de ses deux enfants pour garantir le droit à l’éducation aux enfants des personnes qu’il ne connaissait pas auparavant.
Quand nous lui avons demandé si ce n’était possible pour lui de demander une affectation sur Niamey pour être proche de sa famille, il répond : « je préfère continuer à servir en brousse, car je m’y sens plus utile ». « Si tous les enseignants ne veulent pas rester dans la brousse pour enseigner, que deviendront les enfants de ces pauvres citoyens ? », a-t-il philosophé.
Heureusement qu’à Touramaïzé Koira il est vu comme un héros. Un héros qui transmet des connaissances aux enfants et qui leur apprend les bonnes manières, un héros qui a évité aux élèves filles de venir désormais en retard en classe à cause de l’eau, un héros surtout parce qu’il a amené de l’eau au village. Et l’eau, c’est la vie.
Mahamane Sabo Bachir, Magazine Afrique perspectives