Photo des dirigeants lors du sommet de Dubai sur le climat en 2023
Il y a six mois, lors de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques à Dubaï (COP28), le monde est parvenu à transcender les divisions géopolitiques – une prouesse que peu estimaient possible – et à s’unir derrière un plan réaliste, connu sous le nom de Consensus des ÉAU, afin de promouvoir une prospérité durable et de faire face à la menace du changement climatique.
Près de 200 gouvernements, ainsi que tous les secteurs de l’économie mondiale, se sont rassemblés autour d’une approche concrète et fondée sur la science, pour atteindre une croissance économique faiblement émettrice de carbone tout en maintenant accessible l’objectif de 1,5°C.
C’est l’inclusivité qui a constitué la clé de cet accord : personne n’a été exclu, aucune industrie mise de côté, et aucune solution écartée. Tandis que nous passons au stade de la mise en œuvre, il est nécessaire que le monde explore toutes les possibilités d’accélération des avancées. Cela signifie plus précisément tirer parti de l’intelligence artificielle, qui promet d’exercer un impact révolutionnaire à grande échelle sur la transition énergétique, et qui devrait ajouter 7 000 milliards $ au PIB mondial au cours des dix prochaines années.
Aucun mot n’est trop fort pour exprimer le potentiel de l’IA dans la lutte contre le changement climatique. Cette technologie en pleine évolution peut changer le rythme des avancées en reconcevant les processus industriels, en optimisant les systèmes de transport, en maximisant l’efficience énergétique, ainsi qu’en minimisant les émissions à grande échelle. L’IA renforcera également notre résilience adaptative au travers d’innovations en matière d’agriculture, de sécurité hydrique et de santé.
Le développement de l’IA conduira toutefois nécessairement à une explosion de la demande énergétique. Pour résoudre la contradiction entre la soif d’électricité caractéristique de l’IA et son potentiel d’accélération d’une transition juste, les technologies et les sociétés énergétiques vont devoir coopérer de manières nouvelles et créatives.
Plusieurs motifs d’optimisme existent sur ce point. L’IA améliore d’ores et déjà l’efficience dans plusieurs secteurs. À travers AIQ, sa coentreprise technologique avec G42 et Presight, ADNOC utilise la maintenance prédictive et les outils d’apprentissage automatique, ce qui lui a permis de réduire d’un million de tonnes les émissions de dioxyde de carbone en seulement un an. Plusieurs autres compagnies d’électricité recourent à des réseaux neuronaux pour atténuer les défis liés à l’intermittence et au stockage de l’énergie renouvelable, en anticipant les conditions météorologiques ainsi que les pics et les creux de consommation.
Dans le domaine de la science des matériaux, les chercheurs utilisent l’IA pour identifier les structures moléculaires les mieux adaptées au captage du carbone. La technologie transforme également l’agriculture, autre secteur énergivore, en analysant les micronutriments, en améliorant les rendements des cultures, et en réduisant jusqu’à 40 % la consommation d’eau. Au cours des cinq à dix prochaines années, l’IA devrait permettre des avancées en matière de fusion, d’hydrogène, d’énergie nucléaire modulaire, de stockage à long terme par batteries, et de solution climatiques encore non inventées.
Le revers de la médaille du potentiel transformateur de l’IA réside dans son insatiable consommation d’énergie, qui exerce une pression supplémentaire sur un système énergétique déjà tendu. Depuis 2019, les émissions des plus grandes sociétés d’IA ont augmenté d’environ 30 %. D’ici 2030, la demande d’électricité des centres de données à travers le monde devrait croître de 160 %, en raison des vastes besoins de traitement associés à cette technologie, et ces nouvelles installations pourraient finir par consommer autant d’électricité que le Canada, ce qui représenteraient une multiplication par deux des émissions de dioxyde de carbone. Il sera difficile de résoudre cette équation, dans la mesure où aucune source unique d’énergie n’est actuellement capable de répondre à une telle explosion de la demande.
Les grandes entreprises technologiques commencent à collaborer avec les sociétés énergétiques pour relever ce défi de front. Au mois de mai, Microsoft et Brookfield ont conclu un accord pour développer 10,5 gigawatts de capacité renouvelable d’ici 2030. Masdar, principale société d’énergie renouvelable des Émirats arabes unis, est en bonne voie pour multiplier par quatre sa capacité et la porter à 100 gigawatts d’ici 2030, et explore des opportunités pour fournir de l’électricité propre au secteur technologique. Intervient également un accroissement des investissements dans les centres de données alimentés par le nucléaire, bien que leur construction nécessite plusieurs dizaines d’années. Dans l’intervalle, jusqu’à 200 milliards de mètres cubes de gaz naturel – combustible fossile le moins carboné – seront nécessaires chaque année, comme le seront des investissements significatifs dans les infrastructures de réseau mondiales pour faire face à l’augmentation de la demande.
L’adoption d’une approche complète est essentielle pour résoudre ces problèmes et tirer parti des avantages potentiels de l’IA. C’est la raison pour laquelle j’organise à Abou Dhabi au mois de novembre un grand « Majlis » des acteurs du changement – majlis signifiant une réunion traditionnelle d’encouragement à l’échange de points de vue divers – afin de discuter de l’IA et de la transition énergétique. Dirigeants d’entreprises des secteurs de l’énergie et de la technologie, décideurs politiques, investisseurs et organisations de la société civile se réuniront pour réimaginer la relation entre l’énergie, l’IA et la croissance économique inclusive.
Les Émirats arabes unis ont désormais fait leurs preuves en tant que fournisseur énergétique responsable. Compte tenu de notre engagement pour le développement durable, et de notre émergence en tant que leader de l’IA – fort de plateformes d’investissement telles que MGX, de développeurs d’infrastructure comme G42, ainsi que du plus grand et plus rapide modèle de langage de la région, Falcon – nous sommes désireux de rassembler tous les acteurs concernés autour d’une question primordiale pour l’ensemble de l’humanité. En bâtissant une passerelle entre l’énergie et l’IA, nous pouvons contribuer à la réalisation du Consensus des ÉAU, et ainsi tirer parti de la plus formidable opportunité économique depuis la première révolution industrielle.
Sultan Al Jaber, ministre de l’Industrie et des technologies avancées des Émirats arabes unis, est président de la COP28, PDG d’ADNOC et président de Masdar.
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