Ian Bremmer est président-fondateur du groupe Eurasia et du média GZERO.
Alors que l'élection présidentielle américaine aura lieu dans 4 mois, les démocrates sont confrontés à une énorme tempête politique. Après la prestation désastreuse de Biden lors de son débat avec Trump, les responsables du parti démocrate, ses principaux donateurs et nombre de ses électeurs appellent à un changement de candidat.
Il y a seulement quelques semaines, le meilleur choix pour les démocrates semblait être Biden, car il n'est pas facile de battre un président sortant. Depuis 1932, seuls Herbert Hoover, Jimmy Carter, George Bush père et Trump n'ont pas réussi à se faire réélire. Lors de la primaire démocrate, envisager le retrait de Biden ou sa confrontation à un concurrent démocrate crédible passait pour inutilement dangereux. Quand les présidents démocrates Truman en 1952 et Johnson en 1968 ont décidé de ne pas se représenter, ce sont les candidats républicains, respectivement Eisenhower et Nixon, qui l'ont emportée. De même, lors de la primaire démocrate de 1980, la candidature d'Edward Kennedy contre Carter en 1980 a plombé la campagne de ce dernier, et c'est Reagan qui est arrivé à la Maison Blanche.
Au regard de ce passé, la plupart des démocrates ont jugé plus prudent de soutenir la candidature de Biden, un homme qui a déjà battu Trump une fois. Aucun démocrate qui aspire à devenir un jour président ne veut être celui qui entrave un président sortant déjà vulnérable.
Mais l'inquiétude croissante concernant l'âge de M. Biden (il a aujourd'hui 81 ans et en aurait 86 à la fin d'un second mandat) est devenue le sujet central de la campagne, alors même que Trump doit faire face à une condamnation au pénal à New-York. Cela montre à quel point la politique américaine est devenue dysfonctionnelle. À la suite de la débâcle de Biden lors du débat télévisé qui l'a opposé à Trump, un éditorial du New York Times (le journal de référence de l'establishment de centre-gauche) a appelé le président à se retirer, et de récents sondages indiquent qu'environ la moitié des électeurs du parti démocrate sont du même avis.
Toutefois si Biden ne renonce pas à sa candidature, les chances de le remplacer sont pratiquement nulles. Lors des primaires du parti démocrate, il a obtenu le soutien du nombre nécessaire de délégués pour être désigné comme candidat lors de la convention du parti qui se tiendra en août à Chicago. Ces délégués se sont engagés à soutenir Biden, sauf changement d'avis de sa part. En outre, même si les démocrates pouvaient facilement le remplacer, se pose la question du choix d'un nouveau candidat. Les uns après les autres, les sondages montrent que la vice-présidente Kamala Harris n'est pas plus populaire que Biden, mais l'écarter au profit d'un autre candidat risque d'aliéner un grand nombre de femmes et d'électeurs issus des minorités.
Quant aux autres candidats possibles - le gouverneur de Californie Gavin Newsom, la gouverneur du Michigan Gretchen Whitmer, le secrétaire d'Etat aux transports Pete Buttigieg et d'autres encore - ils n'ont pas encore fait leurs preuves sur la scène nationale. Pour comprendre à quelle vitesse un candidat qui n'a pas fait ses preuves peut s'effondrer, il suffit de considérer la tentative très attendue, mais désastreuse, du gouverneur de Floride Ron DeSantis de faire tomber Trump lors des primaires républicaines.
Jusqu'à présent Biden n'envisage pas de se retirer, et le soutien public des anciens présidents Obama et Clinton est censé confirmer le maintien du soutien du parti démocrate. Cela tient sans doute à ce que Biden peut encore battre Trump. Dans le l'environnement politique fracturé des USA, des millions de personnes qui disent aux sondeurs que Biden est trop vieux pour faire un second mandat voteront quand même en sa faveur pour empêcher Trump d'entrer à la Maison-Blanche. Républicains et démocrates estimant que l'avenir de la démocratie américaine est en jeu, la participation électorale sera probablement élevée.
Néanmoins la candidature de Biden va être de plus en plus contestée au cours des semaines à venir, car nombre de responsables démocrates s'exprimant sous couvert d'anonymat dans les médias disent qu'il ne doit pas se représenter. Ce goutte à goutte insistant pèse sur la capacité du président de tourner la page - au moins jusqu'à la convention du parti démocrate. Et évoquer l'idée d'avancer la date de son investiture officielle alimenterait l'idée qu'il panique, même si ce n'est pas le cas. Tout cela se passe au moment où Biden espérait maintenir l'attention des médias sur tout le passif de Trump.
Pour l'instant le parti démocrate est paralysé. Ne pas soutenir le président en place présenterait un énorme risque politique, mais continuer à soutenir un candidat fragilisé pourrait être encore plus risqué. Pendant ce temps Trump se frotte les mains. Presque tous ses problèmes avec la justice ont été renvoyés après l'élection. Dans son procès perdu pour versement de pot de vin, sa peine n'a pas encore été prononcée. Les décisions récentes de la Cour suprême réduisent la probabilité qu'il soit condamné à une peine d'emprisonnement et rappellent aux électeurs conservateurs que par ses nominations il a fait pencher la Cour suprême à droite, et qu'il fera encore de même s'il est réélu. Les médias s'intéressent maintenant bien plus au choix de son colistier qu'à son comportement imprévisible.
La décision quant à l'avenir politique de Biden repose avant tout sur ses propres épaules, et il est impossible de prédire ce qu'il va faire. Pour le moment il affirme rester dans la course et essaye de changer de sujet. Mais chaque jour qui passe, dans le camp démocrate la pression augmente en faveur d'un changement de candidat. C'est une situation à risque sans précédent dans ce qui se présentait déjà comme une élection dysfonctionnelle comme jamais.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
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