Hebdomadaire Nigérien d'Analyses et d'Informations Générales

Face à l’insécurité grandissante combinée au changement climatique, la situation humanitaire devient de plus en plus préoccupante au Niger. Etant la couche la plus vulnérable de la population, les enfants subissent de plein fouet les conséquences de la crise humanitaire. Plusieurs de leurs droits sont violés dont celui de l’éducation avec la fermeture de plusieurs écoles dans des localités écumées par l’insécurité. En tant que première organisation indépendante au monde pour les enfants, Save the Children, à l’occasion de la Journée de l’Enfant Africain, édition 2021, a par la voix de son Directeur pays par intérim M. Louis Malliet, a passé au peigne fin la situation des enfants au Niger.

 

Indépendant Plus: Quelle lecture faites-vous de la situation humanitaire au Niger ces derniers temps ? Et quelles sont vos actions prioritaires dans vos paquets d’interventions ?
Louis Malliet : La situation humanitaire actuelle au Niger est complexe et très volatile, notamment en raison de la crise sécuritaire. Il faut également noter que le phénomène de changement climatique et des épidémies contribuent fortement à la détérioration d’un contexte déjà précaire. La combinaison de ces facteurs à un impact négatif sur l’émergence du pays et sur la vie de la population nigérienne, particulièrement les enfants.
Selon le plan de réponse humanitaire, 3.8 M de personnes ont besoin d’assistance au Niger pour un financement requis de 523,2 millions USD. Les secteurs prioritaires demeurent la santé-nutrition avec plus de 3 M de personnes dans le besoin, la sécurité alimentaire, la protection, les abris, l’éducation, l’eau & hygiène et assainissement.
En tant première organisation indépendante au monde pour les enfants, Save the Children à travers ces bureaux terrains entreprend des projets d’urgences et de développement afin de répondre aux besoins des enfants et de leurs familles. La réponse est structurée sur nos trois axes stratégiques à savoir la survie (Aucun enfant ne meurt de causes évitables avant son 5ème anniversaire), l’apprentissage (Tous les enfants bénéficient d'une éducation de base et de qualité) et la protection (La violence contre les enfants n'est plus tolérée)

La situation sécuritaire a engendré la fermeture de plus de 400 écoles soit 34000 élèves qui ne bénéficient pas de scolarité au Niger. Quelle réponse humanitaire l’ONG Save The Children a apporté face à cette situation d’urgence pour assurer l’éducation des enfants?
La fermeture des écoles consécutive aux attaques et menaces des groupes armés engendre un dysfonctionnement du système éducatif dans plusieurs régions touchées par la crise, notamment Diffa, Maradi, Tahoua et Tillabéry. En tant que lead du groupe de travail « Ecoles sûres », Save the Children assure la coordination et le suivi des interventions pour la protection des écoles. Dans le cadre du suivi, il s’agit d’une mise à jour de la situation des écoles fermées et attaquées sur l’ensemble du pays, afin d’accompagner la réouverture ou d’adopter d’autres alternatives pour la continuité. Il faut le souligner, la fermeture des écoles est le résultat de diverses actions menées par les groupes armés non étatiques : attaques physiques sur les écoles et les enseignants avec destruction du matériel éducatif ou mort d’enseignant, menaces contre les enseignants et les parents, les chefs coutumiers. L’impact de ces actions conjuguées des GANE est énorme sur l’éducation : refus ou résistance de certains parents à inscrire ou envoyer leurs enfants à l’école, le refus de certains enseignants de regagner leur poste de travail, l’arrêt ou l’interruption des activités d’enseignement apprentissage.
Pour assurer la continuité de l’éducation et limiter les perturbations qu’entraîne la fermeture des écoles, Save the Children mène plusieurs actions sur le terrain. Globalement, la réponse comprend le paquet d’actions suivantes : La formation et l’appui aux acteurs scolaires sur la gestion de la sécurité à l’école ; l’élaboration et la mise en œuvre des plans de gestion des risques ; l’appui en santé mentale et soutien psychosocial ; le renforcement des capacités d’accueil des écoles à travers la construction classes temporaires et la réhabilitation des écoles ; l’enseignement par la radio.
A toutes ces actions qui se déroulent au niveau terrain, il faut ajouter le plaidoyer et le renforcement des capacités des acteurs du gouvernement pour la mise en œuvre de la déclaration sur la sécurité dans les écoles. Il s’agit ici d’amener les pouvoirs publics à élaborer et renforcer les politiques et les systèmes de sécurité et de protection des écoles.
L’école nigérienne fait partie des priorités du président de la république Mohamed Bazoum. Pour preuve, plusieurs rencontres ont réuni les parties prenantes y compris les acteurs humanitaires autour du président de la république. Votre organisation accompagne l’Etat dans sa mission d’éduquer les enfants du Niger. Que vous inspire cette volonté du Président de la République ?


Le tout nouveau Président de la République du Niger a axé sa politique éducative sur quatre points prioritaires dont l’accroissement des capacités d’accueil des établissements scolaires, des centres de formation professionnelle et des Universités ; la scolarisation de la jeune fille ; le développement du capital humain et la gouvernance de l’école. Comme on peut le constater, il touche du doigt les difficultés majeures qui minent le système éducatif nigérien.
Ce programme du Président très salutaire peut paraitre ambitieux si l’on considère le contexte humanitaire du pays et l’existence de nombreux défis tout aussi prioritaires sur d’autres secteurs comme la santé, l’insécurité alimentaire…
Cette grande ambition du président peut se comprendre face à l’urgence des défis, c’est pourquoi les consultations directes avec les différents acteurs menés au cours des 2 premiers mois d’exercice devraient se poursuivre dans une démarche davantage inclusive et participative pour assurer la qualité et la viabilité des actions.
Il faudrait également mobiliser des ressources conséquentes pour le déploiement des actions, accélérer le processus de mise en place de la carte scolaire et assurer un suivi rigoureux de la mise en œuvre des actions à travers un mécanisme bien élaboré.
La protection de l’enfant fait partie de vos missions, plusieurs enfants sont aujourd’hui victimes d’abus de tout genre au Niger. Quel est la contribution de Save the Children concernant ce volet ?
Save the Children se positionne sur deux axes forts de la protection de l’enfance au Niger. Tout d’abord, à travers le renforcement du système de gestion de cas de protection. En ce sens, l’organisation soutient fortement les mécanismes communautaires de protection de l’enfant, tels que les comités villageois et communaux de protection, en les formant et en les coachant sur la création de leur plan d’action annuel. Par ailleurs, Save the Children soutient la coordination humanitaire et cherche à renforcer la synergie des acteurs internationaux et nationaux afin que les cas de protection puissent être référencés et répondus de façon harmonisée.
D’autre part, l’organisation développe un axe d’intervention spécifique concernant les enfants en situation d’urgence en ciblant une réponse globale pour les enfants en mobilité, à travers des services de santé mentale et soutien psychosociale, et en permettant la prise en charge individualisée des cas les plus vulnérables, comme les enfants victimes de violences basées sur le genre.
Enfin, de façon transversale, Save the Children lutte contre la violence faite aux enfants en favorisant un environnement de vie bénéfique, et déploie des actions de sensibilisation et défend la notion de discipline positive auprès des communautés et notamment auprès des parents.
Malgré les efforts déployés par l’Etat et ses partenaires, les droits de la jeune fille sont toujours bafoués au Niger. Quelle appréciation faites-vous du mariage des enfants et la scolarisation de la jeune fille ?
Le mariage des enfants est une problématique préoccupante au Niger où le phénomène va grandissant ((Etude Nationale sur les VBG au Niger UNFPA 2017) et est manifestement une violation de la Convention des Droits de l’Enfant, ratifiée par le Niger en 1990. Le Niger atteint un taux de presque 80% des filles mariées avant l’âge de 18 ans si l’on se réfère aux données collectées dans nos zones d’intervention. Cette situation trouve ses causes profondes dans certaines traditions et pratiques locales empreintes du patriarcat et de stéréotypes sexistes sur la jeune fille. Celles-ci font de la jeune fille une « mère et épouse » dont le mariage génèrerait des dividendes (argent et honneur) pour la famille. Malgré l’arsenal juridique de protection de l’enfance au Niger, les familles investissent moins ou pas du tout dans l’éducation de la jeune fille et font parfois de l’éducation différentielle au profits des jeunes garçons. La sous-scolarisation de la jeune fille atteint ainsi des proportions alarmantes. En effet, selon l’annuaire statistique 2019, le taux de scolarisation des filles est de 65,1% contre 74, 3% pour les garçons. Malgré les programmes d’éducation et de protection de Save the Children dont l’impact vous a déjà été présenté, les jeunes filles continuent malheureusement d’être enlevées du système éducatif formel pour être mariées soit à cause des grossesses précoces et non désirées, soit à cause des facteurs de vulnérables multiples liées au faible pouvoir économique des ménages. La jeune fille est ainsi de fait, victime du déni de ses droits fondamentaux et est par conséquent exposée aux violences basées sur le genre.
Interview réalisée par Adamou Boukari

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