Hebdomadaire Nigérien d'Analyses et d'Informations Générales

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                                         Un quartier de Gaza totlement detruit par les bombordements de l'armée Israelienne 

STANFORD – L’Iran et Israël sont engagés depuis de nombreuses années dans une confrontation instable – une guerre froide constamment susceptible de se transformer en conflit ouvert. Instrumentalisant une branche particulière de l’islam, qui dénigre le nationalisme au profit d’un État islamique, le régime théocratique iranien définit en partie sa mission divine comme nécessitant l’élimination d’Israël.

L’Iran a pour cela créé et armé des proxies à travers la région, de Gaza jusqu’au Yémen, en passant par le Liban et la Syrie.

Ces derniers mois, la guerre par procuration et les opérations clandestines ont cédé la place à une possibilité de conflit direct et total. Bien que les deux camps aient conscience du danger de la situation, le régime iranien s’efforce à la fois de survivre et de préserver les apparences, tandis que le Premier ministre israélien semble déterminé à frapper son ennemi tant que celui-ci est vulnérable.

L’attaque terroriste perpétrée par le Hamas le 7 octobre 2023 a marqué un tournant douloureux pour Israël. Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a salué l’opération réussie du Hamas comme un signe de la fin imminente de l’« entité sioniste », d’autres responsables religieux allant jusqu’à proclamer que ce succès présageait du retour du douzième imam, figure divine censée faire triompher l’islam sur le monde. L’attaque brutale menée contre des civils sans défense a brisé l’aura d’invulnérabilité d’Israël, et la campagne israélienne de plusieurs mois conduite à Gaza est devenue une aubaine de propagande pour le régime iranien. Bien que les habitants de Gaza soient eux-mêmes captifs de la théocratie despotique du Hamas, les images de leurs souffrances ont renforcé les preneurs d’otages et leurs soutiens basés à Téhéran.

Les chefs religieux iraniens ne souhaitent cependant pas une guerre totale, en particulier après les lourdes pertes subies par leurs proxies. L’assassinat de Qassem Soleimani par les États-Unis en 2020 a asséné un coup dévastateur à la Force Al-Qods de l’Iran, l’unité d’élite du Corps des Gardiens de la révolution islamique, chargée de propager l’influence iranienne et d’organiser la plupart des activités terroristes du régime. Depuis, l’Iran a vu Israël éliminer davantage de responsables iraniens, ainsi que les principaux dirigeants du Hamas (Ismaël Haniyeh) et du Hezbollah (Hassan Nasrallah).

Pour beaucoup rendues possibles par des actes audacieux d’espionnage et d’assassinat, ces frappes démontrent à quel point le renseignement israélien (le Mossad) est parvenu à infiltrer les rangs de l’Iran et de ses proxies. L’« axe de la résistance » que l’Iran a passé plusieurs décennies à constituer, en y consacrant plusieurs milliards de dollars, est aujourd’hui confronté à des défis sans précédent, ce qui affaiblit la capacité du régime à projeter sa force face à Israël.

Dans ce contexte plus large, les chefs religieux de l’Iran se retrouvent dans une position difficile. Les sanctions internationales de longue date et le népotisme corrompu du régime ont mis à mal l’économie du pays, entraînant un mécontentement généralisé et une agitation politique persistante. Les Iraniens ordinaires, souvent menés par des femmes, réclament courageusement l’égalité, la liberté, ainsi que des conditions de vie correspondant aux abondantes ressources naturelles et humaines du pays.

S’engager dans une guerre éprouvante contre Israël, ce serait risquer de déstabiliser encore davantage le régime, voire de provoquer sa chute. Shakespeare a écrit qu’il était possible pour les dirigeants d’occuper les « esprits tourbillonnants » avec des « querelles étrangères » ; les chefs religieux iraniens ont néanmoins conscience qu’une population mécontente pourrait être tentée de se révolter si elle était contrainte de supporter les tourments d’une nouvelle aventure de violence.

Par ailleurs, les proxies que l’Iran déploie contre Israël, contre les forces américaines et contre d’autres acteurs régionaux (tels que l’Arabie saoudite) sont également utilisés occasionnellement pour réprimer les protestations intérieures. Ce réseau de proxies s’affaiblissant, les chefs religieux iraniens pourraient ainsi se sentir doublement vulnérables, et par conséquent devoir désespérément rétablir une dissuasion à la fois contre leurs ennemis régionaux et contre les dissidents intérieurs.

Il leur faut procéder avec prudence. La dernière salve de missiles lancée par l’Iran contre Israël s’inscrit dans une démarche de dissuasion. L’attaque a en effet été immédiatement suivie d’une annonce indiquant que l’opération de « vengeance » du régime était terminée, ce qui démontre la volonté de l’Iran d’éviter une nouvelle escalade. Une guerre entre Israël et la République islamique ferait inévitablement intervenir les États-Unis, et les Iraniens savent qu’ils n’auraient aucune chance contre une telle puissance militaire combinée.

Netanyahou est lui aussi confronté à de sérieux défis. Un conflit prolongé épuiserait les ressources d’Israël, et risquerait de conduire à de nombreuses pertes humaines. Il est difficile de prévoir l’impact potentiel d’une guerre coûteuse sur son gouvernement déjà profondément divisé. Netanyahou a centré son héritage politique sur le blocage des ambitions nucléaires de l’Iran ; or, il pourrait précisément accélérer l’issue qu’il redoute le plus. Même si la situation est complexe, un scénario probable existe dans lequel un régime théocratique encore plus désespéré pourrait se proclamer puissance nucléaire dans l’espoir de créer une nouvelle forme de dissuasion, encore plus dangereuse.

Khamenei a toujours été le principal architecte du programme nucléaire du pays, et les mollahs comptent depuis longtemps sur l’illusion occidentale selon laquelle les concessions et les promesses de compromis pourraient dissuader leur quête d’entrée dans le club des États dotés de l’arme nucléaire. Le régime se prétend lié par une fatwa de Khamenei interdisant l’obtention d’armes de destruction massive, et il a toujours soutenu que son programme nucléaire poursuivait exclusivement des finalités pacifiques. Or, nombre des personnages qui n’ont eu de cesse de répéter ce discours affirment aujourd’hui que toutes les pièces du puzzle de la bombe sont en place.

Ce scénario implique évidemment des risques immenses. Une précipitation dans l’achèvement de la bombe provoquerait quasi-certainement des frappes préventives israéliennes – et potentiellement américaines – contre les installations nucléaires iraniennes, ce qui déclencherait tout aussi probablement un conflit plus étendu. Les proxies de l’Iran pourraient être déployés contre des bases américaines, les installations pétrolières saoudiennes, les voies maritimes internationales et un certain nombre d’autres cibles, avec des conséquences dévastatrices pour la région et pour l’économie mondiale.

Israël et l’Iran marchent actuellement tous deux sur un fil. Israël peine encore à surmonter la perte de son aura d’invulnérabilité après l’attaque du Hamas, tandis que l’Iran lutte pour maintenir son influence régionale alors que ses proxies subissent de lourdes pertes. Les deux pays ont conscience qu’une guerre totale serait catastrophique, mais aucun des deux ne peut se permettre de reculer complètement.

L’Occident doit élaborer d’urgence une stratégie concernant l’Iran. Les États-Unis et leurs alliés se sont longtemps appuyés sur des réponses tactiques et correctives à chaque escalade. Or, la seule véritable solution réside dans un Iran démocratique. Ni l’armée israélienne, ni l’armée américaine ne peuvent atteindre cet objectif ; seule la population iranienne en est capable, et elle se montre de plus en plus déterminée ces dernières années. Pour l’heure, il est nécessaire que le reste du monde affronte et contienne le comportement inacceptable du régime, tout en soutenant les aspirations démocratiques des Iraniens.

Abbas Milani est directeur du programme d’études iraniennes à l’Université de Stanford, et chercheur à la Hoover Institution.

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