Patrick Njoroge Bogolo Kenewendo
GABORONE/NAIROBI – Cette année, de nombreux pays ont connu des conditions météorologiques extrêmes sous une forme ou une autre. L'été, marqué par d'intenses incendies de forêt, a été le plus chaud jamais enregistré, tandis que le retour d'El Niño a entraîné des inondations catastrophiques et d'autres catastrophes.
Ces chocs soulignent la nécessité urgente de déployer des efforts multilatéraux pour lutter contre le changement climatique et parvenir à un développement durable.
Au cours des derniers mois de 2024, les dirigeants mondiaux se réuniront pour une série de sommets – notamment les assemblées annuelles du Fonds monétaire international et du groupe de la Banque mondiale à Washington,, le sommet du G20 à Rio de Janeiro et la Conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP29) à Bakou – ,au cours desquels ils pourraient progresser sur ces fronts. Ces réunions sont particulièrement importantes pour les pays africains, qui restent vulnérables aux effets du réchauffement climatique dans un contexte d'aggravation de la crise de la dette souveraine.
Sur les 20 pays les plus vulnérables au changement climatique, 17 se trouvent en Afrique. Outre les conditions météorologiques défavorables et la hausse des températures, les économies africaines ont subi une série de chocs externes ces dernières années, notamment des pics d'inflation, des hausses de taux d'intérêt dans les économies avancées, des tensions géopolitiques croissantes et des conflits violents. En partie à cause de ces chocs, les niveaux de dette publique du continent ont augmenté de 240 % entre 2008 et 2022.
Les conséquences sont désastreuses. Plus de la moitié des pays africains dépensent aujourd'hui davantage en paiements d'intérêts qu'en soins de santé et ils ne disposent pas de la marge de manœuvre budgétaire nécessaire pour investir dans le développement durable. Ce cycle d'endettement et de détresse en matière de développement rend ces pays encore plus vulnérables aux effets du réchauffement climatique. Il les enferme dans une boucle d'instabilité économique et de dégradation de l'environnement.
Si l'augmentation des liquidités peut apporter un soulagement temporaire aux économies africaines en allégeant les pressions fiscales à court terme, elle ne permet pas de résoudre le problème plus profond de la dette, qui entrave la croissance verte. Pour mobiliser les financements nécessaires à l'action climatique et à la réalisation des objectifs de développement durable des Nations unies d'ici à 2030, nous estimons qu'au moins 34 pays africains auront besoin d'un allègement significatif de leur dette.
Malheureusement, le cadre commun de traitement de la dette du G20, conçu pour soulager les pays en situation de surendettement, s'est avéré terriblement inadapté. Son approche au cas par cas est lente et insuffisante, laissant de nombreux pays dans un état perpétuel d'instabilité fiscale. De plus, la réticence des créanciers privés à participer à la restructuration de la dette, associée à l'exclusion des banques multilatérales de développement (BMD), a entraîné des réponses inégales et souvent inadéquates.
Pour s'engager sur la voie du développement durable, les pays africains ont besoin d'un allègement de la dette à grande échelle. Les gouvernements disposeraient ainsi de la marge de manœuvre budgétaire nécessaire pour investir dans des infrastructures résilientes, des énergies renouvelables et d'autres projets liés au climat. Sans ces mesures, les aspirations de l'Afrique en matière de croissance verte resteront lettre morte. Le continent continuera à souffrir d'une dynamique d'endettement insoutenable, qui aggrave les dommages climatiques et détériore la situation sociale.
L'allègement de la dette à grande échelle doit reposer sur trois piliers. Premièrement, les créanciers bilatéraux et les banques multilatérales de développement doivent procéder à une décote significative pour rétablir la stabilité fiscale dans les pays débiteurs. Deuxièmement, des incitations et des sanctions sont nécessaires pour garantir la pleine participation des créanciers privés et commerciaux à la restructuration de la dette. Troisièmement, des améliorations de crédit et un soutien aux pays non en difficulté doivent être fournis afin de réduire les coûts du capital et de maintenir la liquidité. Cette approche globale permettrait aux pays africains d'augmenter et de maintenir les investissements dans la résilience climatique et le développement durable.
Un élément essentiel de ces réformes est l'inclusion de considérations climatiques dans les analyses de viabilité de la dette (AVD), par le FMI. Actuellement, les AVD se concentrent sur la capacité d'un pays à assurer le service de sa dette, sans tenir compte de la nécessité d'investir dans la transition énergétique et les industries du futur. En intégrant les risques et les opportunités liés au climat dans les AVD, la communauté internationale peut s'assurer que l'allègement de la dette est aligné sur des objectifs de durabilité plus larges.
La participation à la restructuration de la dette de toutes les catégories de créanciers, y compris les détenteurs d'obligations privées et les banques multilatérales de développement (BMD), est également essentielle. L'utilisation de règles équitables de traitement comparable pour déterminer les pertes garantirait un partage équitable de la charge.
Une telle approche coordonnée et globale de l'allègement de la dette permettrait de libérer le potentiel de croissance verte de l'Afrique, un élément essentiel de toute solution à long terme de la crise climatique. Le continent dispose de vastes ressources solaires, éoliennes et hydroélectriques, ainsi que de la main-d'œuvre la plus jeune du monde et dont la croissance est la plus rapide. Avec les investissements appropriés, l'Afrique pourra devenir une plaque tournante pour les énergies renouvelables et les industries propres, ce qui permettrait de faire progresser les objectifs de développement du continent et la lutte mondiale contre le changement climatique.
À l'horizon 2025, les dirigeants africains auront une occasion unique de mener les réformes nécessaires pour résoudre le problème du lien entre la dette et le climat. Avec l'Afrique du Sud présidant le G20 (qui compte désormais l'Union africaine comme membre permanent) et l'Ouganda à la tête du G77, les gouvernements du continent seront en mesure de faire pression en faveur d'un allègement significatif de la dette et de réformes essentielles de l'architecture financière mondiale.
Les crises du climat et de la dette en Afrique sont inextricablement liées. S'attaquer à l'une sans s'occuper de l'autre est voué à l'échec. La communauté internationale doit agir maintenant pour aider l'Afrique à construire un avenir durable et vert pour tous.
Bogolo Kenewendo, ancien conseiller spécial des champions de haut niveau des Nations unies pour le changement climatique lors de la COP27-28 et ministre de l'Investissement, du commerce et de l'industrie du Botswana, est coprésident du projet « Debt Relief for a Green and Inclusive Recovery » (Allègement de la dette pour une relance verte et inclusive). Patrick Njoroge, ancien gouverneur de la Banque centrale du Kenya et conseiller du directeur général adjoint du FMI, est coprésident du projet d'allègement de la dette pour une relance verte et inclusive.
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