Dans un contexte particulier de remise en cause de la présence française au Sahel, Emmanuel Macron s'adresse aux ambassadeurs français réunis en conférence à Paris. Dernier épisode en date au Niger, où la junte a exigé que l'ambassadeur de France quitte le territoire. Pour analyser ces revers, l'invité Afrique est Thierry Vircoulon. Chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
Question : Thierry Vircoulon, Emmanuel Macron réunit les ambassadeurs ce lundi dans un contexte marqué par une nouvelle crise diplomatique avec le Niger…
Thierry Vircoulon : C’est en effet une nouvelle crise diplomatique. Après Bamako, après Ouagadougou, c’est maintenant à Niamey qu’il y a une crise diplomatique avec la France. Il n’y a plus d’ambassadeur de France à Bamako. L’ambassadeur de France qui était proposé à la junte au Burkina Faso a été refusé, donc il n’y en aura probablement pas. Et l’ambassadeur de France au Niger a eu un ultimatum pour quitter le pays. Donc, en effet c’est une mauvaise ambiance.
Question : La France n’a pas vu venir le coup d’État au Niger. Comment le comprendre ? Est-ce que cela dit quelque chose de l’état de ses relais sur le continent ?
Thierry Vircoulon : Je pense qu’il y a une nette perte d’expertise qu’on a vue pas seulement évidemment avec le putsch au Niger, mais en ce qui concerne toute cette évolution et en ce qui concerne la façon dont la guerre contre le jihadisme a été gérée par Paris au Sahel. Après en ce qui concerne le putsch lui-même au Niger, qui est un pays qui a une présence militaire française importante, donc en effet, l’idée qu’on ait été pris par surprise pose question sur les capacités d’anticipation. Donc, il faudra savoir à quel niveau le travail normal d’anticipation a échoué.
Question : Quelle est la responsabilité de l’administration centrale dans ce que vivent les représentants de la France sur le terrain ?
Thierry Vircoulon : L’administration centrale, je ne sais pas, mais, en tout cas, en ce qui concerne la politique africaine dans la Ve République, c’est l’Élysée qui définit et qui donne le ton de cette politique. Et par conséquent, je pense que c’est surtout le problème, comme on dit en France, de la verticale du pouvoir avec l’Élysée qui, grosso modo, a son idée propre, rarement en phase avec la réalité sur le terrain, mais que comme on est dans la verticale du pouvoir, elle s’impose à tout le monde. C’est surtout l’Élysée qui, à mon sens, est responsable de la situation actuelle et du fait que l’armée française soit boutée du Sahel.
Question : Et est-ce que vous pensez que la réforme, qui a été désirée d’ailleurs par l’Élysée, du corps diplomatique a quelque chose à voir dans cette cécité de la France sur le sol africain?
Thierry Vircoulon : Non. Parce qu’en fait, cette réforme commence à être mise en œuvre. Il n’y aura plus de corps diplomatique. Le niveau de connaissances est quand même assez faible, il va l’être encore plus, ça va être une des conséquences de cette réforme. Mais ça, ça va être pour les années à venir. Donc, ce n’est pas cette réforme qui est responsable de ce qui vient de se passer.
Question : Le sentiment anti-français grandit en Afrique. Au-delà des manœuvres de Moscou, il y a des raisons plus profondes. En quoi la France a-t-elle déçu ?
Thierry Vircoulon : À l’Ifri, on explique que la critique de la politique française en Afrique n’est pas nouvelle. Ce qui est critiqué, c’est la politique d’aide, la politique économique avec le franc CFA. Mais ce qui a été quand même l’élément qui a fait basculer les choses, c’est l’opération Barkhane qui a duré de 2014 à 2022, donc qui n’était pas une opération, une opération ne dure pas 8 ans. Barkhane a vraiment joué un rôle d’amplificateur du mécontentement contre la France. Et donc, si Barkhane a eu des succès tactiques, ça a été en revanche une gigantesque erreur stratégique.
Question : Les bases militaires de la France en Afrique sont un chapitre en train de se clore, comme le disait en aparté un général français ?
Thierry Vircoulon : Oui. Tout à fait, parce qu’actuellement, il n’y aura plus de vraies justifications pour le maintien de ces bases. La principale justification, c’étaient évidemment les opérations extérieures. Comme maintenant, celles-ci deviennent de plus en plus politiquement inconcevables, la principale justification pour avoir des bases militaires en Afrique tombe. On n’a pas besoin de bases permanentes en Afrique pour faire de la coopération militaire en Afrique, il y a des tas de pays non africains qui font de la coopération militaire avec d’autres pays africains et qui n’ont pas pour cela des bases militaires.
Question: Dans une tribune, une centaine de parlementaires français appellent à « refonder » la politique africaine de la France. Quelle forme devrait-elle prendre désormais, selon vous?
Thierry Vircoulon : Je pense que là, c’est exactement le type d’appel qui montre à quel point la classe politique française est complétement en décalage et en discordance avec les évolutions en Afrique. La réalité, c’est que l’Afrique représente au maximum 5% du commerce extérieur de la France. Donc, plutôt que de parler d’une « refondation » d’une nouvelle politique africaine de la France - qu’avait déjà voulu faire [Emmanuel] Macron au début de son premier quinquennat et on a vu le résultat - il faudrait plutôt songer à faire une politique où nos intérêts économiques et nos intérêts politiques concordent, et ne pas être en décalage par rapport aux évolutions géoéconomiques du monde.