Présidente de l'ordre des médecins
La CEDEAO a pris des mesures drastiques contre l’Etat du Niger, suite au coup d’Etat du 26 juillet 2023 intervenu au Niger. Ces sanctions sont : la fermeture des frontières terrestres et aériennes entre les pays de la CEDEAO et le Niger, l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne de la CEDEAO pour tous les vols commerciaux à destination ou en provenance du Niger, la suspension de toutes les transactions commerciales et financières entre les Etats membres de la CEDEAO et le Niger, le gel de toutes les transactions de service, y compris les services publics, le gel des avoirs de la République du Niger dans les banques centrales de la CEDEAO
, le gel des avoirs de l’Etat du Niger, ainsi que des entreprises publiques et parapubliques logés dans les banques commerciales, la suspension du Niger de toutes formes d’assistance financière et de transactions avec toutes les institutions financières, notamment la BIDC et la BOAD; interdiction de voyage et gel des avoirs des officiers militaires impliqués dans le coup d’Etat et une éventuelle attaque militaire pour rétablir le président déchu.
Le 10 août 2023, lors de la deuxième session extraordinaire sur le Niger, la Conférence des chefs d’Etats et de gouvernement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest a décidé de réaffirmer l’application de toutes les mesures prises contre le Niger. En face, le Président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), le chef de la transition nigérienne, le Général de Brigade Abdouramane Tiani, dénonçait le samedi 19 août 2023 toutes ces sanctions qui vont jusqu’à priver les populations de tout approvisionnement en produits alimentaires et pharmaceutiques.
Dr Wagui Inoussa, médecin chef du cabinet de santé Doribane
Ces mesures dont le peuple nigérien a vécu et continue de vivre les conséquences avec résilience ont été levées par la CEDEAO le 24 février 2024 après sept (7) mois de vigueur. Cependant, elles ont eu des effets négatifs dans tous les domaines, mais le secteur sanitaire a été le plus affecté. Le 18 septembre 2023, lors d'une interview accordée à SPUTNIK Afrique, le Dr Ibrahim Souley, secrétaire général du ministère de la Santé Publique, de la Population et des Affaires Sociales du Niger, a déclaré que les mesures extrêmes imposées par la CEDEAO ont provoqué un déficit considérable en médicaments au Niger, surtout avec le blocage, les principales voies d'approvisionnement en produits de santé destinés au pays. Ainsi, après seulement cinq semaines de blocage d’approvisionnement de médicaments, le pays enregistrait 25% de pénurie de médicaments vitaux. Ceux qui n’ont pas disparu des rayons, ont vu leur prix augmenter, selon la même source. Par la suite, Dr Ibrahim Souley a informé que du 28 juillet au mois de septembre 2023 aucune réception de produits pharmaceutiques n’a été enregistrée. Il s’agit de la quasi-totalité des produits pharmaceutiques dont le Niger a besoin et c’était plus d’une soixantaine de conteneurs qui étaient bloqués pour près de 4 milliards de francs CFA, selon le SG du ministère de la Santé.
Dr Moussa Fatima, ancien ministre de la Santé publique
Exemples de souffrances
Ces mesures ont été le catalyseur d’importantes violations des droits des populations nigériennes, notamment le droit à la santé. Abdoulaye Soumana, âgé de quarante ans, demeure muet et silencieux en face de l'agence de la Banque Of Africa (BOA) de Gaya. Ce père de famille est submergé par un désespoir qui frappe directement. Il tient avec fermeté une ordonnance médicale de 60 000 Fcfa dans ses mains. Ramatou, la femme de Soumana, a été hospitalisée aux urgences de l'hôpital départemental de Gaya le 16 août, suite à des douleurs intenses dans la vessie. Les médecins se montrent formellement : une intervention chirurgicale est nécessaire. À la suite du coup d'Etat du 26 juillet 2023 qui ont eu pour corolaire des sanctions inhumaines imposées par la CEDEAO et l'UEMOA, les institutions bancaires nigériennes ne permettent que des retraits restreints. Soumana a été contrainte de procéder à trois retraits sur une période prolongée afin d'acquérir les sommes nécessaires pour se procurer les médicaments prescrits par son médecin. Toutefois, certains produits et médicaments indispensables comme la bétadine jaune et soluté présentaient un déficit. Soumana relate qu'il a été contraint d'explorer les différentes pharmacies de la ville avant d'être envoyé à une pharmacie privée située dans le même secteur.
Idrissa Hamani, toujours à Gaya, déclare également avoir exploré toutes les pharmacies de la ville pour obtenir l'anti D, un médicament antidiabétique prescrit aux femmes suite à l'accouchement lorsque le bébé présente un rhésus positif et la mère un rhésus négatif (ndlr : on dit qu'un individu possède un rhésus positif si ses globules rouges ont l'antigène D ; on dit qu'il n'en a pas).
Cas de décès
Concernant les pertes en vies humaines, le Niger a enregistré sur l’ensemble du pays 375 décès, a déclaré le Premier Ministre nigérien, Ali Lamine Zeine, au cours d’une cérémonie officielle de remise de rapport d’étude sur les incidences de ces décisions. Ce nombre élevé de décès pourrait être la résultante des effets conjugués de l’arrêt de la fourniture du Niger en énergie électrique d’une part et le blocage de l’approvisionnement du pays en produits pharmaceutiques d’autre part.
A Niamey, Rachida 48 ans et mère de cinq enfants, a été placée sous perfusion au cabinet médical ‘’Doribane’’ du quartier Aéroport dans la nuit du 10 janvier. Selon le Dr Waguiri la dame souffrait d’un trouble ionique de type hyponatrémie (Na+) hypokaliémie (K+). Après plusieurs tentatives de stabilisation des douleurs, l’état de la patiente s’est aggravé. C’est pourquoi, elle a été transférée aux urgences du Centre Hospitalier régional de Niamey (CHR) « Poudrière ». Au CHR, les médecins ont prescrit les mêmes produits, la famille s’est lancée en vain à la recherche de ce médicament (NACL, KCL). Malheureusement, la patiente a rendu l'âme dans la soirée aux environs de 20h. Le médicament tant recherché n’a pas été trouvé dans toute la ville de Niamey qui dispose pourtant de 142 pharmacies privées, 5 pharmacies populaires et plus de 300 dépôts de produits pharmaceutiques.
Selon la présidente du Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens du Niger, Mme Galy Rahana, il y a eu un sérieux manque de solutés, d’antibiotiques, de vaccins, d’antidouleurs et même de chlorures.
Combats menés par des défenseurs des droits humains
« La CEDEAO a appliqué au Niger une punition jamais vue au monde », condamne le Premier Ministre du Niger lors de la présentation du rapport de l’étude menée sur l’impact des mesures. Aussi, les défenseurs des droits humains ont trouvé que ces sanctions ont été injustes et inhumaines, surtout quand il s’agit de fermer les frontières, d’arrêter toutes les transactions commerciales qui impliquent les aliments, les médicaments, les produits de première nécessité pour la population dans un pays aussi enclavé comme le Niger. En tant qu’humanitaire, Dr Moussa Fatima, ancien ministre de la Santé publique au temps du président Mamadou Tandja trouve inconcevables toutes ces mesures. Pour elle, ce sixième coup d’Etat a été violent en termes de sanctions pour le peuple nigérien qui est déjà meurtri par les afflux des attaques terroristes, de l’insécurité, de la crise économique et surtout de la pandémie de la Covid19. Aussi, l’ex-ministre a souligné que dans la planification sanitaire, les stocks de santé ne dépassent pas trois mois et dans le contexte du Niger, les évènements du 26 juillet 2023 se sont déroulés au deuxième semestre de l’année. Par ailleurs, elle a également rappelé que les financements sanitaires du Niger sont liés à ceux de l’extérieur.
Au lendemain de ces mesures, les organisations de la société civile et défenseurs des droits humains ont dénoncé ces actes à travers des sorties médiatiques et l’organisation de manifestations. En plus, l’Etat du Niger, avec l’appui de sept autres personnes morales et physiques a formé une requête introductive d’instance datée du 28 juillet et déposée au niveau de la greffe de la Cour de justice de la CEDEAO le 31 août 2023 avant de déposer aussi dans un document séparé une demande de mesure provisoire. Ces deux documents ont été notifiés aux défendeurs le 4 septembre 2023. L’objectif de cette procédure vise à obtenir de la Cour de justice de la CEDEAO une ordonnance suspendant l’exécution des décisions prises par la conférence des chefs d’Etat et de gouvernements de la CEDEAO.
Par conséquent, la Cour statuant publiquement, contradictoirement, sur la compétence, déclare qu’elle est prima facie compétente pour connaître de la requête au fond. Sur la recevabilité, elle déclare que la requête principale est, prima facie, irrecevable en ce qui concerne le premier requérant car selon la Cour elle n’a pas la qualité pour agir devant celle-ci. Sur le fond (mesures provisoires) la cour rejette la demande de mesures des requérants. Les sept autres plaignants sont : Dr Moussa Fatimata, consultante et ex ministre de la santé publique ; la Société Nigérienne d’Electricité (NIGELEC), la Chambre de commerce et d’industrie du Niger (CCIN) ; le Conseil nigérien des utilisateurs des transports publics (CNUT), le Conseil national de l’ordre des pharmaciens du Niger ; le Réseau des chambres d'agriculture du Niger (RCAN) et le Syndicat des commerçants importateurs-exportateurs et grossistes du Niger (SCIEGN).
Me Mounkaila Yayé, l’un des conseils parmi la task-force d’avocats des requérants a fait savoir que le recours n’ayant pas été examiné au fond, ils n’avaient pas pu faire la démonstration de l’impact des sanctions de la CEDEAO à l’échelle de la population nationale. Par contre, le recours déposé serait cantonné aux mesures provisoires. “Illégales, illégitimes, injustifiées, actes de violations flagrantes des droits humains’’, c’est ainsi qu’Abdoulaye Seydou, acteur de la société civile qui milite pour la défense des droits humains, décrit ces mesures ainsi que les dispositifs mis en place. De son point de vue, le Niger doit saisir les juridictions compétentes en la matière au niveau international pour demander réparation par rapport à ces sanctions prises contre son peuple.
Balkissa Ibrahima Mahamane