Hebdomadaire Nigérien d'Analyses et d'Informations Générales

Quels sont les vrais contours et les objectifs à moyen terme de l’offre de coopération russe sur le continent ? Regard sur les termes du discours du chef de la diplomatie de la Russie au lendemain d’une nouvelle tournée africaine.

Sergueï Lavrov a entrepris début février sa troisième tournée sur le continent en six mois, en se rendant cette fois au Mali, en Mauritanie et au Soudan. A chaque étape, comme lors des précédentes tournées, les termes du discours dispensés se résument en une intensification de « l’engagement russe » auprès des pays visités et des régions. Aux Etats du Sahel, le ministre promet une aide accrue dans la lutte contre le terrorisme, mais aussi des soutiens économiques aux contours flous. A cet égard, Lavrov a déclaré à Bamako le 7 février que « la Russie continuera d'envoyer des vivres de première nécessité, de mobiliser nos entrepreneurs à venir investir au Mali dans les différents secteurs, et d’augmenter aussi le quota des bourses d’études… » Un programme dont la banalité peut surprendre de nos jours, surtout lorsque cet éminent représentant de la Fédération de Russie évoque des « vivres de première nécessité », un concept économique anachronique eu égard aux aspirations actuelles des Etats africains. Mais ceci importe peu, puisque cette offensive diplomatique se fonde moins sur la performance des termes de la coopération économique que sur la construction d’une alliance politique la plus vaste possible avec les pays du continent, dans le but de renforcer l’influence de la Russie sur la scène internationale .

 

Diplomatie sur fond de guerre en Ukraine .

En toile de fond de cette opération de charme, la guerre en Ukraine. Cette séquence critique agit comme un accélérateur du « retour » de la Russie en Afrique, en même temps qu’elle en éclaire les desseins. En multipliant ses déplacements en Afrique depuis juillet 2022, l’objectif visé par Sergueï Lavrov est de rallier à la cause du Kremlin le plus grand nombre possible de pays, y compris en comptabilisant la position de « neutralité » de certains d’entre eux comme autant de gains diplomatiques pour la Russie. Pour ce faire, point besoin de s’appesantir sur les arguments d’ordre économique. Le résultat escompté est de nature essentiellement « politique ». Et pour engranger des effets immédiats, la nuance n’est pas de mise. Lavrov fustige le « néo-colonialisme » et assure ses hôtes du soutien de son pays pour résister aux « tactiques coloniales des Américains et leurs alliés », en vue de « faire pression sur les continents » dans le cadre du conflit russo-ukrainien. Le narratif du « soutien » à l’Afrique « pour lutter contre le colonialisme occidental » est devenu le référentiel permanent de la diplomatie russe. L’audace le dispute au cynisme lorsqu’on sait que ce narratif est servi aux Africains au moment même où la Russie mène une guerre d’annexion contre un pays souverain - l’Ukraine -, en niant son indépendance et son intégrité territoriale. Une guerre dont le but initialement annoncé est celui d’une « réintégration coloniale » aux allures radicalement impérialistes .

Il y a près de trois décennies, nous avons salué la diversification des partenariats et l’ouverture des pays africains à de nouvelles opportunités de coopération. Depuis les années 90, malgré la persistance de nombreux freins et obstacles aux processus de développement, ces pays ont su acquérir sur la scène internationale des capacités de négociation inédites. Comment définir de manière permanente les intérêts du continent afin de tirer le meilleur profit de la diversification des partenariats ? La question se pose toujours. A cet égard, quel est précisément le protocole de coopération de la Russie sur le continent ? Si, comme l’a déclaré Sergueï Lavrov, son pays souhaite « étendre la coopération aux secteurs de l'énergie, des mines, des technologies de l'information, de l'éducation et de la santé », force est de constater que ces projections demeurent floues. Ou simplement renvoyées dans le domaine de l’informel, quand on observe que l’exploitation des ressources minières par la Russie est dévolue à la société paramilitaire Wagner, en contrepartie de ses services, et ce, sur des bases contractuelles qui échappent au contrôle démocratique. Inutile d’insister sur les autres secteurs de l’économie, ou ceux de l’éducation et de la santé inscrits dans le discours de Sergueï Lavrov. L’aventure de la Russie en Ukraine, ainsi que son agenda intérieur et international réduisent chaque jour un peu plus sa capacité à tenir ce genre d’engagements à moyen et long termes.

Coopération militaire et « carburant » politique

Dans le domaine sécuritaire qui constitue la matrice de cette coopération, le groupe Wagner est le principal exécuteur des « ambitions » russes. Curieusement, Sergueï Lavrov intègre désormais dans son discours les éléments de Wagner comme étant constitutifs de la « l’aide » de la Russie, alors même qu’il y a quelques mois, il qualifiait cette entité de « société privée commerciale sans aucun lien » avec le Kremlin. Même son de cloche d’ailleurs de la part de Vladimir Poutine qui, lors d’une conférence de presse commune avec Emmanuel Macron, quelques jours avant l’invasion de l’Ukraine par son armée en février 2022, démentait toute présence militaire officielle russe en Afrique, affirmant alors que Wagner ne représentait pas la Russie. Difficile de soutenir de telles affirmations aujourd’hui, au vu de l’ostentatoire implication des hommes d’Evgueni Viktorovitch Prigojine dans le conflit en Ukraine… Est-ce donc avec les éléments de Wagner que la Russie voudrait contribuer à la lutte contre le terrorisme « dans l’ensemble de la région du Sahel et du Golfe de Guinée », comme l’a promis Sergueï Lavrov à Bamako le 7 février 2023 ? Et pour quels résultats ? Difficile souvent de décoder le langage du régime du Kremlin pour en saisir les véritables desseins.

Quel bilan tirer aujourd’hui de l’engagement militaire russe, via le groupe Wagner, en Centrafrique, au Mali, en Libye, ou encore au Soudan ? En Centrafrique, la normalisation de la situation sécuritaire demeure pour le moins hypothétique, alors même que les exactions commises par les éléments de Wagner sont devenues notoires, dans un contexte de crise humanitaire majeure. Au Mali où Wagner agit comme un partenaire de premier ordre, les groupes armés non étatiques ne cessent de gagner du terrain, tandis qu’on observe une exacerbation des tensions communautaires et une banalisation des revendications irrédentistes. Le 27 janvier 2023, la malienne Aminata Cheick Dicko, appelée témoigner en tant que membre de la société civile lors de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, avait notamment rapporté l’implication du groupe Wagner dans « la commission de violations graves des droits de l’Homme et du droit international humanitaire » dans le centre du pays. Depuis cette intervention, la militante des droits humains ayant fait face à une véritable campagne de harcèlement et autres menaces coordonnées et orchestrées, a dû s’enfuir de son pays…

Faut-il s’étonner que dans le discours du chef de la diplomatie russe, nulle place n’est réservée à quelques principes auxquels nombre d’Africains demeurent attachés, tels que les droits humains, l’Etat de droit, la liberté d’expression ou la justice sociale ? Il est vrai que la Russie ne se flatte pas de promouvoir les valeurs démocratiques. Il serait alors légitime de s’interroger sur la nature de la présence de Wagner auprès du chef rebelle libyen Khalifa Haftar, auprès d’un pouvoir en pleine dérive autoritaire en Centrafrique, ou encore des juntes au Mali et au Soudan. Ces positionnements contractuels seraient-ils exclusivement indicatifs du « sens politique » de l’offensive diplomatique russe sur le continent ? Derrière la guerre informationnelle contre les rivaux désignés – en tête desquelles la France, en Afrique francophone – la promotion de régimes autoritaires, issus notamment de coups d’Etat, serait-elle le principal carburant de l’expansion de l’influence de la Russie en Afrique ?

Ajouter un Commentaire


Code de sécurité
Rafraîchir

Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

Articles similaires

RCCM/NI/A/971 NIF:19086/S

  •  

    +227 90 69 50 56

  •  

    +227 96 29 07 20

  •  

    Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

  •  

    Derrère Grand Marché, Niamey - Niger

Newsletter

Recevez les meilleurs articles dans votre courrier électronique et ne manquez jamais l'actualité importante d'ici et d'ailleurs.