Le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, s'est dit scandalisé mercredi par les informations selon lesquelles au moins 44 migrants et réfugiés, y compris des femmes et des enfants, auraient été tués et plus de 130 blessés à la suite de frappes aériennes contre un centre de détention pour migrants à Tajoura, à l'est de Tripoli, en Libye, et a réclamé une enquête indépendante.
« Il condamne cet incident horrible avec la plus grande fermeté. Il exprime ses plus sincères condoléances aux familles des victimes et souhaite un prompt rétablissement aux blessés », a dit son porte-parole dans une déclaration à la presse.
« Le Secrétaire général appelle à une enquête indépendante sur les circonstances de cet incident, afin de garantir que les coupables soient traduits en justice, notant que l'ONU avait fourni les coordonnées exactes du centre de détention aux parties en conflit », a-t-il ajouté. « Le Secrétaire général rappelle en outre à toutes les parties leur obligation, en vertu du droit international humanitaire, de prendre toutes les précautions possibles pour éviter et, en tout état de cause, réduire au minimum les pertes en vies humaines, les blessés parmi les civils et les dommages de biens de nature civile, et de s'abstenir d'attaques contre des civils ».
Selon l'ONU, cet incident souligne l'urgence de fournir à tous les réfugiés et migrants un abri sûr jusqu'à ce que leurs demandes d'asile puissent être traitées ou qu'ils soient rapatriés en toute sécurité.
M. Guterres a réitéré son appel en faveur d'un cessez-le-feu immédiat en Libye et d'un retour au dialogue politique. Un possible crime de guerre, selon la cheffe des droits de l'homme de l'ONU
La cheffe des droits de l’homme de l’ONU a également vivement condamné mercredi ces frappes aériennes sanglantes contre le centre de détention de migrants, une attaque susceptible, selon elle, de constituer un « crime de guerre ».
« Je suis choquée par les dizaines de migrants et de réfugiés morts et blessés au centre de détention de Tajoura. Le fait que les coordonnées de ce centre de détention et le fait qu’il abrite des civils aient été communiqués aux parties au conflit indiquent que cette attaque peut, selon les circonstances, être un crime de guerre », a déclaré la Haut-Commissaire Michelle Bachelet, dans un communiqué rendu public ce mercredi à Genève.
Mme Bachelet note d’ailleurs que c’est « la deuxième fois que le centre de détention est touché pendant les hostilités en cours » et exhorte toutes les parties au conflit à prendre toutes les mesures possibles pour protéger les civils et leurs infrastructures, y compris les écoles, les hôpitaux et les lieux de détention.
Tout en insistant sur le respect des principes de distinction, de proportionnalité et de précaution, elle rappelle aux belligérants leur devoir de protection de la population civile sous leur contrôle « contre les effets d’une attaque, notamment en évitant de placer des objectifs militaires à proximité de sites civils ».
En outre, elle a réitéré « son appel à la libération urgente des migrants et des réfugiés détenus », mais aussi plaidé pour leur protection humanitaire, leur accès à des abris collectifs ou à d’autres lieux sûrs, loin des zones susceptibles d’être touchées par les hostilités.
« J’ai appelé à plusieurs reprises à la fermeture de tous les centres de détention pour migrants en Libye, où le personnel des droits de l’homme des Nations Unies a documenté une grave surpopulation, des actes de torture, des mauvais traitements, du travail forcé, des viols et une malnutrition aiguë, entre autres violations graves des droits de l’homme », a fait valoir Mme Bachelet.
De leur côté, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ont demandé la cessation immédiate de la détention des migrants et des réfugiés. L’OIM et le HCR exhortent l’ensemble du système des Nations Unies à condamner cette attaque et le recours à la détention en Libye.
Des migrants dans un centre de détention à Tripoli, en Libye, attendant d'être rapatriés dans leur pays d'origine.Photo OCHA/Giles Clarke
Des migrants dans un centre de détention à Tripoli, en Libye, attendant d'être rapatriés dans leur pays d'origine.
Le HCR et l’OIM demandent une enquête immédiate sur les responsables
Selon le HCR et l'OIM, cette attaque mérite davantage qu’une simple condamnation. Une enquête complète et indépendante est nécessaire pour déterminer comment cela s’est produit et qui en est responsable, ainsi que pour traduire les responsables en justice. « La localisation de ces centres de détention à Tripoli est bien connue des combattants, qui savent également que les personnes détenues à Tajoura sont des civils », ont souligné les deux agences.
Au moins 600 réfugiés et migrants, dont des femmes et des enfants, se trouvaient au centre de détention de Tajoura. Le nombre « effroyable » de blessés et de victimes, suite à l’attaque aérienne de mardi soir à l’est de Tripoli contre le centre de détention de Tajoura, fait écho aux vives préoccupations exprimées par le HCR et l’OIM, concernant la sécurité des personnes dans les centres de détention. Ce tout dernier épisode de violence rend également compte du danger évoqué par l’OIM et le HCR concernant les retours de migrants et de réfugiés en Libye après leur interception ou leur sauvetage en mer Méditerranée.
Dans ces conditions, les deux agences onusiennes appellent instamment la communauté internationale à mettre en place des couloirs humanitaires pour les migrants et les réfugiés qui doivent être évacués depuis la Libye. « Dans l’intérêt de tous en Libye, nous espérons que les États influents redoubleront d’efforts pour coopérer afin de mettre d’urgence un terme à cet effroyable conflit », ont fait remarquer le HCR et l’OIM.
Par ailleurs, les deux agences onusiennes plaident pour la fermeture de ces centres. Si l’on inclut les victimes de Tajoura, environ 3.300 migrants et réfugiés sont toujours détenus arbitrairement à Tripoli et en périphérie de la ville dans des conditions abjectes et inhumaines.
Selon le HCR, les migrants et les réfugiés sont confrontés à des risques croissants à mesure que les affrontements s’intensifient à proximité. Et sur place, les agences des Nations Unies ont déployé des équipes médicales. Par ailleurs, une équipe inter-institutions plus large des Nations Unies attend l’autorisation de se rendre sur place.
Le conflit en cours dans la capitale libyenne a déjà forcé près de 100.000 Libyens à fuir leur domicile. Le HCR et ses partenaires, dont l’OIM, ont transféré plus de 1.500 réfugiés depuis des centres de détention proches des zones de combat vers des zones plus sûres. Par ailleurs, des opérations de l’OIM pour le retour volontaire à titre humanitaire ont facilité le départ de plus de 5.000 personnes vulnérables vers 30 pays d’origine en Afrique et en Asie.