Depuis début mars 2020, l’Afrique de l’Ouest a enregistré son premier cas de COVID-19. Alors que la pandémie sévit depuis plusieurs mois dans le monde, avec son cortège de morts, le continent africain peut se frotter les mains car n’ayant pas subit autant de perte en vies humaines. Cependant, la pandémie a aussitôt mis les médias au cœur de la stratégie de lutte des pouvoirs publics au regard de leur maillon essentiel dans la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation de l’efficacité de ladite stratégie. De ce statut d’interface et de facilitateur de la perception et de la compréhension de la stratégie des pouvoirs publics dans la lutte contre la pandémie, les citoyens perçoivent les médias comme vecteurs de relais d’informations bien sourcées et vérifiées sur la COVID-19.
Cependant, cette conception idyllique des médias s’est vite altérée sous l’humus des mœurs en raison de la prolifération des fausses informations sur la COVID-19. Alors qu’en Guinée le contexte très polarisé politiquement et socialement a favorisé l’éruption de fausses informations ou Fakes News sur la COVID-19, la religion a joué un rôle dans la prolifération des fausses informations au Niger et au Burkina Faso le gouvernement en a été un vecteur La conséquence directe de la prolifération de ces fausses informations a été de nature à fragiliser la stratégie nationale de riposte en cours et à questionner le professionnalisme des médias face à la recrudescence de ce phénomène nouveau dans le paysage médiatique de la sous-région.
Face à l’ampleur croissante de ce phénomène, particulièrement au sein des nouveaux médias, il urge d’analyser son n’impact sur le paysage médiatique, ainsi que les mesures nécessaires afin de l’endiguer. C’est dans ce contexte que la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA), en collaboration avec ses partenaires nationaux en Guinée, au Niger, au Togo, au Burkina Faso, en Mauritanie, et au Cap Vert produit ce rapport d’analyse.
Le présent rapport se veut une analyse du phénomène des fausses information en cette ère de la COVID-19 en prenant en considération le contexte général de la question des fakes news lors de la COVID-19, les tendances des fakes news pendant la pandémie ; l’impact des fausses informations sur les médias et la lutte contre la pandémie ; les mesures adoptées contre les fakes news en cette période.
Contexte Général
Alors que les stratégies de riposte contre la COVID-19 dans la région consistaient en une batterie de mesures restrictives, à partir de début juin, la région a observé une relaxation des mesures d’urgences. Face à la propagation de cette pandémie, les regards se sont tournés sur le rôle des médias comme pourvoyeur
d’information, tremplin de sensibilisation et de l’éducation des populations, pour la mise en œuvre efficace et efficiente de la politique de riposte nationale à la COVID-19.
Cependant, les médias font face à nombres de défis rendant difficile ce devoir régalien. L’un des défis en cette période de crise porte sur la prolifération de fausses informations sur la COVID-19.
Au Togo, dès la découverte des premiers cas de COVID-19, les réseaux sociaux ont été inondés par les fausses informations. Les groupes WhatsApp et Facebook se sont vus envahir par diverses publications (parfois sous forme de textes, vidéo, audio et images). Très rapidement des informations erronées ou tronquées ont été relayées par des internautes. Certaines informations viennent des publications de d’autres pays notamment la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Ghana, etc. D’autres fausses informations proliférées au Togo proviennent généralement des Togolais vivant en Europe ou en Asie.
Cette même situation a été observée au Cap Vert ou la majorité des fausses informations provenaient de l’extérieure. Contrairement à la Guinée où la prolifération des fausses informations a été favorisée par le contexte politique tendu et les suspicions des populations vis-à-vis des autorités gouvernementales.
Alors que la prolifération massive des fausses informations dans plusieurs pays demeure encore un phénomène plus au moins nouveau, l’éruption des Fausses Informations en période de crise au Burkina Faso n’est pas un phénomène nouveau. Le Burkina Faso en a été victime depuis que le pays fait face à la menace terroriste qui a créé un environnement propice à la prolifération d’informations infondées. Le Burkina Faso est donc face à un cocktail composé du terrorisme et de la COVID-19, chacun avec son lot de rumeurs.
La propagation des fausses informations en cette période a été favorisée par le manque d’une stratégie de communications gouvernementales sur la pandémie dans certains pays, et les difficultés d’accès aux sources d’informations. Lors d’un webinaire sur la viabilité des Médias en Afrique de l’Ouest en cette période de crise sanitaire, le Président de l’Association Guinéenne des Editeurs de Presse Indépendante (AGEPI), Moussa Iboun Conte, a indiqué que «l’accès a l’information en cette période de COVID-19 relève d’un parcours de combattant». Le gouvernement organisait de façon sporadique les points de presse sans planning précis pour les médias. De pareilles situations ont été observées au Burkina Faso, au Niger, etc.
Au Cap-Vert par exemple les journalistes avaient des difficultés à obtenir et à confirmer les informations auprès des autorités sanitaires locales. Selon Sara Almeida du Jornal Expresso das Ilhas «Du côté des médias, il se peut que certaines informations soient inexactes, principalement en raison des difficultés de communication des autorités nationales et des difficultés qu'elles créent pour les journalistes en matière d'accès à l'information.
Le manque de précision et les inexactitudes étaient également dus, parfois, à la précipitation à donner les nouvelles». Au Burkina Faso, selon Aubin Guébré, rédacteur en chef de la télévision Bf1, «le gouvernement ne communiquait pas à temps et faisait de la discrimination dans le choix des médias». Il dénonce au passage, «l’exclusion de certains médias de la communication gouvernementale».
Les Tendances de Fausses Informations sur la COVID-19 en Afrique de l’Ouest : Alors que la pandémie se propageait et que les efforts consentis à tous les niveaux de la gouvernance visaient à mettre en place un system de riposte, les fausses informations ont progressivement commencé à prendre de l’ampleur.
La majeure partie des fausses informations portaient sur l’origine de la maladie, les moyens de prévention, ainsi que l’existence d’un remède. En ce qui concerne l’origine de la maladie, au Niger par exemple, plusieurs fakes news qui ont inondé la toile indiquaient que la Covid-19 n’est rien d’autre qu’un complot de l’occident pour tuer
les Africains.
Cependant, en raison du contexte politique tendu et des repressions gouvernementales sur les questions de la liberté d’expression en Guinée plusieurs fausses informations consistaient généralement à nier l’existence de la maladie ou à lui attribuer des remèdes non vérifiés. Selon Thierno Amadou Bonnet Camara, Directeur du site www.guinee114.com «certains acteurs politiques soutiennent que le coronavirus est juste un prétexte du Président de la République en vue d’étouffer les contestations de sa volonté de se maintenir au pouvoir au-delà de ces deux mandats».
Selon Mognouma Lamine Cissé, journaliste, animateur d’émission de débat à la radio Djigui, en Guinée, les informations qui démentent l’existence réelle de la maladie en Guinée viennent généralement des partis politiques de l’opposition qui y vois une volonté de les faire taire. Mognouma souligne «Ce sont les militants des partis politiques d’opposition qui participent beaucoup à notre émission en soutenant que le coronavirus est créé par le Gouvernement, le cumul de décès hospitaliers et le cumul de guéris sont inventés».
Alors que l’existence de la maladie en Guinée est rejetée de part et d’autre, la capitale guinéenne ployait sous le poids de fausses informations sur l’injection de patients avec du poison à l’hôpital Donka, le plus grand centre hospitalier de Conakry. Selon Saliou Kouyaté du journal ‘’ les Annonces de Guinée’’, «c’était effroyable car cela reste ancré dans la mentalité de beaucoup de ses compatriotes».
La région Ouest Africaine a également connue de fausses informations sur les remèdes de la COVID-19. Au Burkina Faso par exemple, lors des premières étapes de la propagation de la pandémie, le Faso Check, un site de fact-checking basé au Burkina Faso a enregistré plusieurs fausses nouvelles «sur la reconnaissance par l’Organisation mondiale de la santé de l’Artemisia comme remède contre la Covid-19» ou que «le tabac préviendrait la Covid-19» ou encore que «le cannabis soigne la Covid-19». L’initiative « Faso check» a aussi répertorié un lot de fausses nouvelles qui «soutient mordicus que consommer le piment fort prévient le Coronavirus».
Outres les fausses informations sur le virus, nombres de fakes news portaient également sur la riposte du gouvernement. Sur les réseaux sociaux au Burkina Faso par exemple circulait des fausses informations indiquant des subventions de «40 milliards mis à la disposition des artisans» ou «la levée du couvre-feu» décrété par le gouvernement burkinabè afin d’amortir le choc économique infligé par la pandémie de Covid-19. Une autre fausse nouvelle annonçait également «la reprise des activités pédagogiques le 12 mai 2020».
Impact des Fakes News sur les Médias
La prolifération de fausses informations en cette période de crise sanitaire au cours de laquelle le rôle des médias était crucial a porté un coup dur à l’industrie de la presse. L’abondance des fakes news a dangereusement impacté la crédibilité des médias traditionnels qui, après chaque information publiée ou relayée, se trouvaient dans l’obligation d’apporter un démenti.
Ainsi, les fake news ont beaucoup contribué à décrédibiliser les médias qui se contentent de prendre pour argent comptant tout ce qu’ils trouvent sur la toile. En raison du manque d’information qui a favorisé la prolifération des fausses informations, Mamane Jaharou, Président de l’Observatoire Nigérien des Indépendant de l’Ethique et de la Déontologie dans les Médias (ONIMED), lors d’un webinaire organisé par la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) sur la viabilité des médias en cette période de COVID-19 a souligné que «souvent, face aux fausses informations même les journalistes sont confus et ne savent pas vers où se vouer pour vérifier les informations».
Non seulement les fake news on conduit à la perte de crédibilité des médias, mais également nombres de professionnels de presse étaient confus dans le relai de l’information aux populations. Au Burkina Faso par exemple, le gouvernement a été parfois vecteur de fake news en raison d’une série d’information fausse communiqué à la
population surtout suite au premier décès subvenu suite à la COVID-19.
Si la cause du décès a suscité des polémiques sur la gestion de la suite de l’événement, le gouvernement s’est fourvoyé. Sa communication a été émaillée d’informations erronées. Selon Touwendenda Zongo, Directeur de Publication du bimensuel Mutations «la communication du gouvernement a été un problème pour nous car on ne savait plus qui croire. On avait l’impression que tout était orienté à dessein et les journalistes se perdaient avec leurs sources». Si les fausses informations ont ralenti voire bloqué le fonctionnement des entreprises de presse et affecté leurs crédibilités lors de la crise sanitaire de la COVID-19, les fausses informations ont perturbé également le bon
déroulement de la campagne de sensibilisation du gouvernement contre le virus.
L’opération de dépistage d’envergure nationale, enclenchée par le Gouvernement en vue d’éradiquer cette pandémie en 60 jours en Guinée, a suscité une forte résistance chez les citoyens. Selon Yamoussa BANGOURA de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire, «certains chefs de famille ont préparé leurs membres à ne pas nous accepter sous
le faux prétexte que nous y venions pour leur injecter du poison.»
La forte multiplication du nombre de malade en raison du relâchement des mesures barrières au sein de la population est fortement due à la propagation des fausses informations rejetant l’existence de la maladie.
Les Mesures adoptées contre les Fausses Informations :
Plusieurs actions ont été entreprises par divers parties prenantes en vue de limiter l’évolution des fausses informations sur la pandémie. C’est dans cette même veine que les acteurs de la société civile, regroupés au sein du conseil national des organisations de la société civile guinéenne, ont initié les campagnes d’information, de
sensibilisation et d’éducation sur la propagation des fausses informations sur le coronavirus par le porte-à-porte particulièrement contre la fausse information assez répandue dans les communautés guinéennes sur l’injection des patients de la COVID-19 avec du poison à l’hôpital de Donka.
Les médias au Cap Vert se sont cramponnés aux pratiques de professionnalisme journalistique afin de fournir des informations crédibles aux citoyens. Selon Gisela Coelho, journaliste à A NAÇÃO «nous avons maintenu notre statut et notre code de déontologie éditoriale, qui est basé sur le journalisme de qualité et d'exactitude des informations divulguées, sous l'égide du principe du contradictoire, du croisement des informations et de la vérification des faits. Pendant la pandémie, nous avons cessé de publier certaines nouvelles en ligne comme en étant des scoops.»
Cette même tendance a été observé au Togo ou très vite les médias ont pris la mesure de la situation générale de la pandémie dans le monde devant les fausses informations qui circulaient. Les médias togolais ont donc réussi à faire la part des choses dans le traitement et la diffusion des informations liées au coronavirus. «j’ai toujours consulté les sources officielles notamment le site internet mis en place par le gouvernement togolais, la radio et la télévision nationale. Je me réfère toujours aux informations du gouvernement sur la maladie, car les vraies informations viennent de là. Je ne voudrais pas être victime des fakes news», affirme Nicolas KOUDOHAH, Directeur de Publication du journal ‘’Le Bâtisseur’’».
Le Togo ainsi que le Burkina Faso ont connu la création des sites de fact-checking ou vérifications des faits. Sur la période des quatre premiers mois de la pandémie au Togo (entre avril et juillet), Togocheck a traité 77 fakes news. La plupart tournaient autour des traitements, des faux remèdes de la COVID-19 et des prétendus vaccins contre ce virus. Faso check au Burkina Faso a été fortement actif afin de débusquer les fausses informations portant sur la pandémie.
Outre les initiatives spéciales, les médias dans la sous-région ont également organisé des séries d’émissions avec des experts ainsi que les autorités gouvernementales en vue de fournir des informations fiables aux citoyens. Plusieurs gouvernements en Afrique de l’Ouest ont adopté diverses mesures en vue de fournir les informations
crédibles aux populations. Les gouvernements du Bénin et du Togo ont par exemple créé des sites internet fournissant des informations en temps réel aux citoyens. Les autorités gouvernementales ont également organisé des conférences de presse de manière régulières. Par exemple, au Burkina Faso, le Service d’Information du Gouvernement (SIG) et le Centre des Opérations de Réponses aux Urgences Sanitaires (CORUS) ont organisé des conférences de presse avec les médias sur les cas de COVID-19 ainsi que sur les mesures adoptées par le gouvernement comme riposte à la crise.
Au niveau de la Mauritanie, le gouvernement a adopté une approche juridique au phénomène. L’Assemblée nationale a approuvé, le 25 juin 2020, une loi présentée par le gouvernement qui règlemente le domaine de la publication de fausse information sur les réseaux sociaux considérant qu’elle affecte la tranquillité publique et la
paix civile surtout en ciblant les individus et les institutions. En présentant les raisons de la loi, le gouvernement a indiqué que son objectif est de lutter contre la manipulation de l’information en général, pendant les crises sanitaires, les périodes électorales et aussi d’autres formes quelle que soit leur nature en particulier.
Les sanctions prévues par la nouvelle loi varient de trois mois à cinq ans de prison ainsi que des amendes de 50 000 à 200 000 MRU (de 120 à 600 USD). La loi devra entrer en vigueur après sa publication au Journal officiel.
Conclusion
Le phénomène de fake news est devenu une hydre qui ne fais que prendre de l’ampleur. Ce phénomène dans le contexte actuel fragilise la politique nationale de riposte à la COVID-19. Sans l’implication de la classe politique, des médias ainsi que de toutes les parties prenantes en vue de constituer une ligne de front pour l’éducation et la sensibilisation des populations générales dans les langues nationales à tous les niveaux, la bataille sera perdue. C’est dans cet ordre d’idée que nous recommandons aux parties prenantes clés les recommandations suivantes:
Aux Gouvernements:
- Adopter des politiques favorisant l’accès à l’informations sur la pandémie ainsi que les mesures de ripostes
- Fournir de manière proactive les informations aux médias ainsi qu’au public
- Sensibiliser et publiquement décourager la production et publication des Fakes News.
- Informer et former les journalistes y compris les chroniqueurs religieux et journalistes locuteurs en langues nationales, sur les causes et modes de transmission de la COVID-19 afin que ces derniers puissent mieux informer et sensibiliser la population.
Aux Organisations de Développement des Médias:
- Organiser des formations périodiques à l’intention des journalistes sur le Fact-checking
- Former les journalistes et activistes de la société civile sur le recueil de textes locaux portant sur les Fakes News.
- Renforcer les compétences des journalistes sur les pratiques éditoriales et les exhorter à éviter la culture du scoop
Aux Médias
- Vérifier à plusieurs reprises les informations avant publication,
- Créer des espaces ou opportunités de publier des démentis dans les cas où les informations publiées contenaient des erreurs et massivement publier ces démentis,
- Renforcer au niveau individuel les compétences de vérification des informations,
- Créer une liste des personnes ressources capables de confirmer les informations pertinentes avant leurs publications.
- Constamment débusquer lorsque nécessaire les fausses informations sur les réseaux sociaux.