Hebdomadaire Nigérien d'Analyses et d'Informations Générales

Le libre-échange vert à l’ère du protectionnisme

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PÉKIN – Face aux menaces formulées par le président américain Donald Trump autour de l’augmentation des droits de douane sur les importations en provenance du Canada, de la Chine et du Mexique – dont il affirme désormais qu’elles pourraient se concrétiser le 1er février – le monde se prépare à des perturbations commerciales majeures. Le protectionnisme redevenant à la mode, et un certain nombre de pays tels que les États-Unis promouvant chez eux plusieurs secteurs cruciaux afin de renforcer leur sécurité économique, le renversement du libre-échange est voué à s’accélérer sous Trump, avec des conséquences majeures – notamment pour la lutte contre le changement climatique.

 

Il existe une trajectoire simple pour mettre fin à notre dépendance aux combustibles fossiles : cultiver les industries vertes – qui non seulement atténueraient le changement climatique, mais stimuleraient également la croissance économique et la création d’emplois – et veiller à ce que leur production puisse faire l’objet d’échanges commerciaux aussi larges que possible. L’ouverture des échanges renforcerait en effet ces industries, réduirait le coût des biens et services verts dans la plupart des pays, et faciliterait l’adoption de pratiques et de technologies à faible émission de carbone.

En cette période de montée en puissance du protectionnisme, la poursuite de cette trajectoire nécessite la mise en place d’un accord spécial de libre-échange écologique, prévoyant d’importantes réductions des droits de douane ainsi que des barrières non tarifaires sur les biens et les services qui présentent des avantages pour l’environnement et le climat. Une ou deux économies seulement risquant de torpiller un cadre véritablement mondial, de multiples accords de moindre envergure pourraient être conclus par des « coalitions de volontaires ».

Le recours aux accords commerciaux régionaux existants en tant que base du commerce vert pourrait considérablement accélérer ce processus. Prenons l’exemple du Partenariat économique régional global (RCEP), le plus grand bloc commercial au monde en termes de population et de PIB, qui regroupe l’Australie, la Chine, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud et les dix pays de l’ANASE. Le fait d’opérer dans le cadre du RCEP pourrait aboutir plus rapidement à une entente ainsi qu’à la mise en œuvre d’un accord de libre-échange écologique faisant intervenir des États qui représentent collectivement 30 % de l’activité économique mondiale.

La première étape vers la réalisation de cette vision consisterait à démontrer clairement les avantages économiques d’un accord commercial vert pour tous les membres de partenariats tels que le RCEP. C’est précisément l’objet d’une étude préliminaire, basée sur un modèle d’« équilibre général calculable », que mènent l’Institute of Finance and Sustainability (que je préside) et plusieurs partenaires de recherche. Notre étude, que nous présenterons lors d’une conférence à Hong Kong au mois de mars, démontre qu’un accord de libre-échange écologique permettrait de stimuler l’économie des pays membres (en termes de PIB, d’exportations, d’emploi et de recettes fiscales), de soutenir leurs industries vertes, et d’accélérer la décarbonation.

Ensuite, afin de contribuer à l’atténuation du changement climatique ainsi qu’à la lutte contre la dégradation de l’environnement, les États doivent identifier les biens et services qui devraient être couverts par l’accord de libre-échange vert. Notre étude suggère que cette liste pourrait inclure quelques dizaines de domaines et quelques centaines de produits et services, notamment les énergies renouvelables, les véhicules électriques (VE) et leurs composants, la gestion des déchets, l’agriculture durable, les solutions fondées sur la nature, et les services environnementaux professionnels.

Une troisième priorité doit consister à attirer les investissements écologiques étrangers et les transferts de technologie, ce qui nécessite un environnement politique plus stable, des protections pour les investisseurs, ainsi que des droits de propriété intellectuelle plus sûrs au sein des blocs commerciaux régionaux. Un accord commercial écologique garantissant ces conditions permettrait notamment aux pays à faible revenu de développer leurs industries vertes et de créer des emplois verts. Dans le cadre du RCEP, par exemple, les entreprises chinoises, japonaises et sud-coréennes qui produisent des VE ou des panneaux solaires pourraient concéder des licences sur leurs technologies aux producteurs dans les pays de l’ANASE, et investir dans la mise en place de chaînes d’approvisionnement vertes au sein de la région.

Il est également nécessaire que ces accords s’attaquent aux barrières non tarifaires, qui sont susceptibles d’entraver le commerce et l’investissement au sein même de zones aux droits de douane faibles ou nuls. La réussite d’un accord commercial vert doit avant tout passer par une analyse minutieuse de l’ensemble des barrières non tarifaires, y compris de celles qui résultent des quotas d’importation et d’exportation, des processus de contrôle de la qualité et de dédouanement, des exigences de traçabilité des produits, du financement du commerce et de l’assurance-crédit à l’exportation, ainsi que du règlement des paiements transfrontaliers. Il s’agirait ensuite de mettre en œuvre des mesures ciblées visant à réduire ces obstacles, par exemple une harmonisation des normes de qualité et de traçabilité entre les juridictions, ainsi qu’une réduction des coûts de financement du commerce au moyen d’instruments financiers verts.

Leadership et dialogue ouvert sont ici indispensables. Dans le cas du RCEP, les grandes économies telles que l’Australie, la Chine, l’Indonésie, le Japon et la Corée du Sud devraient prendre l’initiative de promouvoir le consensus, au travers de discussions soulignant les avantages étendus de l’accord pour tous. Cette approche soutiendrait une « transition juste » vers une économie climatiquement neutre, en accélérant la décarbonation au sein des États participants, en favorisant la croissance et la création d’emplois dans les industries vertes, ainsi qu’en encourageant cette confiance mutuelle si essentielle à une coopération plus large sur les questions climatiques et commerciales.

Les arguments en faveur d’accords commerciaux verts sont encore plus puissants lorsque l’on compare ces accords à l’approche adoptée par les économies développées. Si le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), privilégié par l’Union européenne, le Royaume-Uni et potentiellement les États-Unis, permet effectivement de réduire les « fuites » de carbone issues d’importations produites dans des pays appliquant des règles plus souples en matière d’émissions, le MACF nuit d’un autre côté aux revenus et à l’emploi dans les économies en voie de développement qui exportent des biens à forte intensité de carbone. Il ne favorise par ailleurs aucunement la coopération ; au contraire, ces mesures unilatérales pourraient conduire à des représailles ainsi qu’à un renforcement du protectionnisme.

En termes d’incitations, le MACF équivaut au « bâton », à une punition pour les pays en voie de développement qui ne sacrifient pas leur croissance et leur développement national pour réduire les émissions. Par opposition, un accord de libre-échange vert constitue la « carotte » : en alignant les objectifs climatiques sur les objectifs de développement, il récompense les économies participantes qui progressent dans la transition verte. Il s’agit d’une solution gagnant-gagnant, précisément du type de celles que nécessite une transition écologique juste.

Ma Jun est président de l’Institute of Finance and Sustainability, basé à Pékin, et ancien coprésident du groupe de travail du G20 sur la finance durable.

Copyright: Project Syndicate, 2025.

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